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garde nationale s’est déjà montrée tout en armes ; celle de Vienne a pris pour devise : propriété, travail, intelligence. Cette devise n’est pas moins à sa place en Bohème, où les gens de la campagne et les ouvriers ont été gagnés plus qu’on ne l’aurait jamais cru par les prédications socialistes. Les ouvriers des faubourgs de Prague se tiennent au courant des espérances et des illusions qu’on a suggérées dans ces derniers temps aux ouvriers de Paris ; ils s’associent de loin à leur fortune, et avec tout l’aveugle entraînement de l’ignorance. En face de ces dangers, la bourgeoisie de Prague a fermement contenu l’émotion inséparable d’un si grand changement politique : elle a autant que possible concilié pour la défense d’un même intérêt d’ordre et de sécurité les deux élémens encore rivaux qui forment la population, l’élément tchèque et l’élément germanique. Elle a modifié la constitution municipale selon le besoin de la circonstance et du temps. Il est curieux de voir circuler la pensée moderne dans cette ville du moyen-âge, au milieu de ces antiques édifices encore tout marqués de l’esprit du vieux monde. Vous entrez dans une maison gothique : c’est un café ; on s’y arrache, on y lit à haute voix les journaux français.

Le fond des choses correspond au dehors. La rénovation politique a pénétré déjà trop avant dans les faits, pour qu’on y puisse désormais attenter. Il y aura sans doute des transactions, des lenteurs ; il n’y a plus de réaction possible en Autriche. Le comte Ficquelmont, qui a pour l’instant non pas la direction souveraine, mais la conduite générale des affaires, n’est peut-être pas de l’école la plus libérale, et peut-être aussi naguère a-t-il été trop bien en cour à Pétersbourg, pour y devenir aujourd’hui très désagréable ; mais qu’importe après tout ? Lui-même l’aurait dit, à ce qu’on assure : Ce ne sont plus les ministres, c’est le temps qui gouverne. Le temps a marché pour l’Autriche comme pour le reste de l’Europe. L’habile publiciste qui écrivit il y a sept ans l’Autriche et son avenir, donnant à la fin de 1846 la seconde partie de son ouvrage, commençait par reconnaître les progrès de toute sorte accomplis depuis 1841. La réforme postale, l’exécution des chemins de fer, la réduction du temps de service militaire, la place plus grande faite à l’industrie dans l’état, le développement des écoles professionnelles, les premiers essais de révision dans le tarif des douanes, telles sont en effet les conquêtes sérieuses qui, en moins de six ans, ont accéléré la civilisation matérielle de l’Autriche. Le progrès intellectuel, plus difficile à saisir, parce qu’il était comprimé au lieu d’être manifesté par les institutions, le progrès des idées politiques se traduisait cependant par l’éveil de l’opinion et par l’importance croissante des assemblées d’états. La bureaucratie contrariait seule les exigences qui ressortaient naturellement de cette situation nouvelle. La bureaucratie est tombée violemment le jour même où se réunissaient ces états d’Autriche, réduits depuis des siècles à l’insignifiance d’un rôle misérable, et leur rôle primitif, leur rôle d’états du moyen-âge, s’est trouvé du même coup si complètement transformé, que les voilà fondus, pour le mois de juin prochain, avec les représentans de tout l’empire, et convoqués en qualité de parlement constitutionnel.


V. de Mars.