Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 22.djvu/599

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

M. David, a combiné, comme lui, le naturalisme avec le style, et s’est formé une sorte d’idéal moins héroïque, mais peut-être plus conforme à l’esprit et au goût français. Dans ses compositions les plus importantes, on retrouve quelque chose de la souplesse et du mouvement des statuaires du XVIIIe siècle, mais avec plus de respect pour la forme, plus d’étude du détail précis, en un mot avec une compréhension de la nature moins arbitraire et moins factice. Toujours est-il que M. Pradier continue la tradition française avec les modifications que le temps et d’autres modes ont dû apporter dans les habitudes et les mœurs de la nation, et, faut-il le dire ? jusque dans la conformation de l’espèce. Ses nombreuses statues de femmes sont le type le plus exact, sinon le plus distingué, de la beauté française au XIXe siècle, beauté svelte, un peu chétive, et qui réside moins dans l’extrême pureté de la forme que dans sa souplesse et son élégance, dans la grande régularité des traits de la face que dans l’expression gracieuse et mobile.

La Nyssia de M. Pradier, la Clytie de M. Lescorné, la Rêverie de M. Jouffroy et la Haïdée de M. Husson sont autant de prétextes choisis par ces artistes pour nous représenter des jeunes filles ou de belles femmes nues ; mais, pour plaire, cette représentation exige une rare perfection que nous regrettons de ne pas rencontrer dans la plupart de ces ouvrages. Cependant, si la perfection est le fruit de l’étude et des connaissances accumulées durant des siècles, labor mundi, nul ne peut se trouver plus à même d’y atteindre que ces artistes, les derniers venus, et auxquels tant de chefs-d’œuvre ont pu servir de modèles. Cela indiquerait suffisamment que la perfection ne s’acquiert pas uniquement au moyen de la connaissance et de l’imitation de ce que les maîtres de l’art ont produit, mais par une vue particulière de la nature, à l’aide de cette influence secrète qui fait le grand artiste comme elle fait le grand poète, peut-être aussi par une éducation de l’œil qui, de nos jours, rencontre des obstacles de plus d’une nature, tels que le peu d’occasions de voir le nu, d’étudier la forme, de se pénétrer des belles proportions. Lysippe demandait à Eupompe : Quel maître dois-je imiter ? — La nature, lui répondait Eupompe. La beauté des statues grecques, l’admirable pureté de la forme, la grace de l’attitude, la vérité du mouvement, l’excellence, en un mot, reposent donc dans une imitation intelligente de la nature, dont le principe doit plutôt s’appeler le vrai idéal que le beau idéal, car le beau ne peut exister sans le vrai. Nos mœurs et nos habitudes sociales ne nous permettent que bien difficilement d’arriver à la connaissance de ce vrai idéal auquel les grands artistes de l’antiquité ont souvent atteint. Aussi la perfectibilité indéfinie n’existe-t-elle pas pour l’art, et notre époque d’excessive civilisation ne refera-t-elle jamais ni l’Apollon, ni les Vénus de Médicis ou de Milo.