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propriétaires, ne songea qu’à demander un gîte et un verre de grog. Les riverains s’empressèrent de lui offrir, ainsi qu’à l’équipage, une hospitalité intéressée avec l’arrière-pensée de profiter sans scrupule, pendant la nuit, des épaves que la mer ne tarderait pas à leur envoyer[1]. Pour moi, je fis emmener mon cheval par l’un des habitans du village, après avoir eu la précaution de passer dans ma ceinture les pistolets, qui garnissaient les fontes. Mon intention était de rester sur la grève pour ne perdre aucune des scènes étranges que me promettait le pillage organisé du navire.

Les femmes et les enfans s’étaient retirés, et on ne voyait plus sur la plage qu’un petit nombre d’hommes qui n’attendaient pas sans impatience le moment où la mer devait rendre une partie du chargement, qu’elle avait englouti. Le pilote Ventura fit éteindre les feux, et la grève redevint sombre, sinon silencieuse, car les flots grondaient aussi haut que le tonnerre, dont les montagnes de Tuxtla répercutaient les éclats. Parfois un pâle rayon de lune venait éclairer la nappe d’écume qui couvrait l’océan, et laissait entrevoir le navire échoué que les vagues démantelaient sur les rochers.

— Partout où il y a des cadavres, nous dit le pilote en montrant du doigt la goélette, les zopilotes[2] ne manquent pas de s’abattre ou les requins de se réunir, et nous allons bientôt voir arriver celui qui a causé la perte de ce navire. Ce serait une honte que d’autres partageassent avec nous ce que la mer envoie sur nos côtes.

Tout restait calme cependant, et, en attendant que les maraudeurs parussent, je pus examiner à mon aise la disposition des lieux. A quelques pas de nous, une large baie s’ouvrait sur la plage : c’était l’embouchure d’une rivière qui allait se perdre sous des arbres épais. En-deçà de la rivière se trouvait le village de Boca-del-Rio. Une rangée de mangliers s’étendait entre nous et la baie ; ce rideau d’arbres pouvait, grace à l’obscurité, nous cacher complètement. Sur l’observation du pilote, ce fut le poste que nous choisîmes pour y épier les maraudeurs.

L’attente ne fut pas de longue durée. Une troupe d’hommes à cheval ne tarda pas à longer le cours de l’eau et à faire son apparition sur la plage. Arrivée à peu de distance des mangliers, la troupe fit halte comme pour s’orienter, et un cavalier s’avança seul et avec précaution.

  1. Cette violation des lois de l’hospitalité maritime n’est pas, malheureusement, un trait particulier au Mexique. On sait par de nombreux exemples, et j’en pourrais citer un qui a deux mois de date, que, sur les côtes de France, les navires naufragés n’ont pas été et ne sont pas toujours respectés.
  2. Vautours noirs qui abondent dans les rues de Vera-Cruz, et qui, respectés de tous, partagent avec les chiens errans les charognes que la municipalité dédaigne d’enlever.