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voilà tout ce qu’il me faut, voilà ce que je trouverai partout. Adieu, seigneur cavalier ; ne dites à personne que vous m’avez vu pleurer comme une femme.

Et, ramenant son chapeau sur ses yeux, Calros éperonna son cheval. Ce ne fut pas sans une vive sympathie que je suivis quelques instans du regard cet homme dont l’exaltation passionnée, l’humeur aventureuse, m’avaient révélé le caractère du Jarocho sous un de ses aspects les plus séduisans. J’avais à regagner Vera-Cruz à pied cette fois, car mon cheval n’avait conservé de son harnachement qu’une longe qui me servait à le tirer après moi. Au bout de quelques instans de marche, accablé de chaleur et de soif, je m’arrêtai dans une cabane, et l’hôte voulut bien accepter la pauvre bête en paiement de la modeste collation qui m’avait été servie.

Deux jours après, je faisais voile à bord du Congress vers les États-Unis. J’allais retrouver la vie régulière et calme, qui, sur une terre de liberté, a aussi sa grandeur ; mais pourquoi le taire ? je ne disais pas adieu sans regret à cette vie aventureuse, exceptionnelle, que j’aurais pu, comme tant d’autres Européens établis au Mexique, me borner à côtoyer tranquillement, et que j’avais voulu pénétrer dans toutes ses bizarreries, dans tous ses mystères. La société mexicaine m’avait séduit comme un roman dont j’avais tenu à n’ignorer aucune scène. On comprend qu’il soit difficile de se séparer sans mélancolie d’un monde où la réalité garde encore dans sa tristesse même un charme si poétique. Quand ce monde s’en va d’ailleurs, on éprouve une satisfaction pieuse à en noter les traits principaux, à en relever les vestiges qui s’effacent. C’est ce sentiment qui m’avait soutenu dans mes longues courses à travers le Mexique, et qui se réveille encore au moment où je remonte en pensée vers les derniers de ces jours de voyage qui ont aussi été pour moi des jours d’enthousiasme et de jeunesse.


GABRIEL FERRY.