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autour d’eux à tous les points de l’horizon, pour bien s’assurer qu’un nouvel ennemi ne viendra pas mettre leur maison au pillage. Les villages, assez rians sur les bords du Danube, plus sombres dans les vastes plaines du centre, sont, par malheur, fort disséminés, et les bras manquent partout à la terre. Cependant, à l’exception des steppes, qui ont la tristesse du désert, le pays n’est point dépourvu d’animation ni d’agrément. Par contraste à cette vie de famille, à ce respect des dieux pénates qui est une partie importante de la religion des Turcs et des Illyriens, au lieu d’être esclave et séquestrée, la femme règne au foyer roumain ; elle en fait librement les honneurs. Le mari ne songe nullement à la cacher aux regards curieux et charmés du visiteur inconnu, et, comme elle sait la puissance pénétrante des femmes de sa race, elle manque rarement de paraître pour recueillir d’humbles hommages. Le paysan roumain n’a rien de méchant ni de rancunier ; il est inaccessible à tout sentiment de vengeance, et dans les grandes époques où il eût été en position d’exercer sur ses boyards des représailles sociales, comme en 1821, il s’est contenté de les parodier, en imitant leurs manières, leurs vêtemens, leur langage, et en exposant leur mollesse à la risée publique.

Il n’en faudrait pas conclure qu’il n’y ait point, en Moldo-Valachie, de questions ni de haines sociales. Le paysan moldo-valaque, avec son vif esprit, n’ignore pas qu’il est accablé plus que de raison et qu’il a droit au mieux. S’il n’est pas armé, ainsi que le Serbe et le Bosniaque, s’il n’a point la même habitude de la violence, il est, en revanche, plus prompt peut-être à céder aux impressions du dehors ; il touche de plus près aux états agités par les idées sociales, la Hongrie et la Pologne ; enfin, son attention est plus naturellement ouverte à tous les bruits de réforme qui, du fond de l’Occident, retentissent jusque sur les rivages de la mer Noire. Cette humeur pacifique du paysan roumain ne saurait donc être pour les boyards la garantie d’une paix perpétuelle, qui leur permette de s’endormir commodément sur leurs privilèges. Il n’est pas un seul point de la Turquie d’Europe où le progrès ait des chances de marcher plus vite, et où, par conséquent, il y ait plus de danger à maintenir les barrières qui l’entravent ou le gênent. Que les idées viennent de la France démocratique, qu’elles viennent de la Hongrie émue ou de la Pologne frémissante, elles menacent d’éclater, si les boyards ne s’étudient dès à présent à conjurer par des concessions nécessaires un péril très prochain.

Or, quelles seraient ces concessions ? La Pologne et la Hongrie libérales peuvent en ce moment même l’enseigner aux Moldo-Valaques, leurs voisins. Il s’agit, d’une part, de reconnaître le paysan pour propriétaire libre du sol, dont il n’est aujourd’hui que le fermier, et, de l’autre, d’abolir ce privilège honteux par lequel le boyard, comblé des