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journalier, pour faire vivre sa famille et lui créer un très modeste avenir.

On parle sans cesse de mettre entre les mains de tous les instrumens du travail, c’est-à-dire le capital. C’est ce qui existe déjà en réalité, mais on ne sait pas le voir ; c’est ce qui existera pour les ouvriers des villes transportés dans les campagnes. Ils jouiront immédiatement d’une part du capital de la terre, des bâtimens ruraux, des bestiaux, des outils aratoires, du mobilier mis à leur usage, etc. Ils profiteront d’une situation créée par le travail des siècles, car il faut enfin que l’on comprenne que la terre, telle que Dieu nous l’a donnée, n’avait presque aucune valeur par elle-même ; elle n’en a acquis que parle travail persévérant et les immenses capitaux, fruits du travail, qui lui ont été appliqués. Cela est si vrai, que, pour le démontrer, il suffirait de supputer, pour la plupart des propriétés, ce qu’elles ont coûté depuis un siècle en travaux extraordinaires, tels que constructions, défrichemens, clôtures, desséchemens de marais, extirpation de rochers, transport de terre sur les surfaces qui en manquaient, établissement de prairies naturelles, plantations d’arbres et de vignes, amendemens minéraux pour changer la nature des terres, etc., etc., et l’on trouverait que la somme de toutes ces dépenses est supérieure à ce que vaut la propriété actuellement. Il faudrait bien reconnaître alors, avec M. de Dombasle, que la terre n’a d’autre valeur que celle qu’on lui donne par les capitaux, bras ou écus, qui lui sont appliqués avec intelligence.

Les capitaux ne sont-ils pas le produit du travail ? et dès-lors ne sont-ils pas aussi sacrés que le prix de la semaine de l’ouvrier ?

Le deuxième moyen que je propose pour ramener à l’agriculture une partie de la population des fabriques, c’est, comme le demande M. Louis Blanc, la colonie agricole ; mais je ne la veux pas en France, où elle n’a pas ou presque pas de place : c’est en Afrique que je voudrais la porter, afin d’atteindre deux grands buts à la fois. Voilà le moment où notre colonie peut nous rendre le plus grand des services et nous dédommager largement des sacrifices qu’elle nous a imposés. L’une des plus grandes causes de notre malaise social, le plus grand danger pour la république, c’est le défaut d’espace en raison de la population. Je sais bien que le sol de la France, s’il était partout cultivé à la hauteur de l’art agricole, nourrirait aisément 60 millions d’hommes ; mais, cela étant, les bois et les troupeaux diminueraient énormément, et ce serait une calamité nationale. L’extrême division de la terre amènerait ce triste résultat ; on n’y marche déjà que trop vite par le code civil. Cependant, puisque l’homme a la passion de posséder un morceau de terre, il faut que cette passion si naturelle nous aide à peupler notre colonie de manière à y dominer la race arabe. Pour atteindre ce but, rien ne doit paraître trop coûteux. Appliquons à cette grande et double mesure