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et c’est cet espoir que la fabrication du sucre indigène lui dérobe en grandissant. Que tous les hommes intéressés au développement du commerce maritime, et l’état même, plus intéressé que personne, considèrent avec effroi les progrès de cette industrie, on le comprend : ils ont raison de s’en alarmer en vue de l’avenir ; mais il est évident qu’ils se trompent quand ils prétendent conjurer le mal par un retour vers le passé.

Inutile maintenant de s’appesantir sur les divers plans qui ont été proposés pour résoudre les difficultés présentes. Les uns demandent qu’on supprime, moyennant indemnité, la fabrication du sucre indigène ; les autres, qu’on opère une large réduction des droits, mais seulement en faveur des deux produits nationaux, et sans toucher à la surtaxe qui frappe les sucres étrangers. La première de ces propositions n’est guère qu’une réminiscence ; son moindre tort est de n’avoir aujourd’hui aucune chance possible de succès. Elle a pu s’expliquer autrefois, à une époque où le sucre indigène était encore exempt de droits, et où l’on supposait assez généralement qu’il ne supporterait pas sans périr l’application de la taxe ; mais, dans les circonstances présentes, elle n’aurait plus même de prétexte : aussi nous paraît-elle désormais hors de question. Quant à la mesure qui consisterait à diminuer seulement les droits sur les sucres coloniaux et indigènes, quelque séduisante qu’elle paraisse au premier abord, elle ne ferait qu’aggraver le mal dont on se plaint et serait funeste à tous les intérêts qu’on aurait prétendu servir. Il est d’abord certain qu’elle appauvrirait le fisc, car, la production de nos colonies étant arrivée à peu de chose près à ses dernières limites, l’importation n’augmenterait pas en raison de l’abaissement du droit : il y aurait donc ici une perte sèche pour le trésor[1]. Par la même raison, la marine n’en tirerait aucun avantage, et d’un autre côté, le consommateur profiterait peu de la diminution de la taxe, parce que l’approvisionnement n’étant pas, dans cette hypothèse, susceptible d’un accroissement immédiat, les prix s’élèveraient en raison de l’accroissement de la demande. Tels seraient les effets immédiats de la mesure. Tout le bénéfice en serait donc pour les producteurs actuels, les fabricans de sucre de betterave et les colons ; hais pour les uns et les autres l’avantage ne serait que momentané, car la fabrique indigène, surexcitée par la grandeur des bénéfices, augmenterait

  1. L’Angleterre a fait cette expérience en 1843. À cette époque, on avait dégrevé seulement les sucres des colonies, sans modifier la taxe sur les sucres étrangers. L’importation n’ayant pas augmenté sous ce régime, il en est résulté une perte annuelle d’environ 50 millions pour le Trésor public, sans aucun avantage pour les consommateurs. C’est seulement après la loi de 1846, qui dégrevait les sucres étrangers, que l’Angleterre a vu augmenter sa consommation et ses recettes. Il en serait de même, et à bien plus forte raison, pour la France.