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qu’on ait jusqu’ici publiées, évaluait la corrosion annuelle des falaises à une épaisseur moyenne d’un pied de roi, appliquée à toute leur surface extérieure[1]. Admettons pour la simplicité du calcul un tiers de mètre : la hauteur réduite des falaises étant de 70 mètres et leur développement d’Ault au cap de la Hève de 140 kilomètres, la masse des débris livrés chaque année à la mer doit être d’environ 3,266,000 mètres cubes. Les couches de silex interposées dans le banc crayeux sont au nombre de soixante, et leurs épaisseurs réunies s’élèvent à 5 mètres ; mais les vides que les cailloux laissent entre eux dans la couche sont les trois cinquièmes de la surface : la masse des débris se divise donc en 93,000 mètres cubes de silex et 3,173,000 de craie ou de marne, et elle s’accroît du produit des corrosions sous-marines correspondantes. Si ces évaluations approchent de la vérité, depuis le commencement de l’ère chrétienne, la mer a dévoré sur cette côte une bande de plus de 600 mètres de largeur, comprenant une étendue de 8,600 hectares et un volume de plus de six milliards de mètres cubes. On va voir quel intérêt s’attache à ces calculs ; mais il faut auparavant dire ce que fait a mer des décombres des falaises.

La marée entre dans la Manche par l’ouest et marche parallèlement à l’équateur ; mais, dans sa course, elle est sollicitée par les vides que font au sud la baie du Calvados, au nord l’entonnoir du Pas-de-Calais, et, à mesure qu’elle avance, des courans latéraux s’en détachent pour les remplir. Le flot qui passe devant Cherbourg se dirige sur le cap d’Antifer, et, parvenu à ce point, il se divise en deux courans divergens, dont chacun suit un des revers du cap : l’un prend en écharpe la côte de la haute Normandie qui fuit au nord-est ; l’autre s’épanche dans l’embouchure de la Seine et remplit le port du Hâvre. Il n’en faudrait pas davantage pour faire cheminer le long de la côte, et dans deux directions différentes, partant du cap d’Antifer, les débris dont se chargent les eaux ; mais les marées ne sont pas seules à donner cette impulsion : les vents d’ouest, qui sont les plus fréquens et les plus violens de ces parages, les secondent, et chaque lame qui vient du large pousse devant soi les corps mobiles qu’elle porte ou qu’elle heurte. Le jusant et les vents de terre n’ont jamais sur la côte autant d’action que le flux et les vents du large, en sorte que, si l’effet de ceux-ci est quelquefois atténué, il n’est jamais détruit.

La mer a bientôt fait le départ entre les roches de dureté différente que lui livrent les éboulemens des falaises. La marne et la craie se brisent, se dissolvent et se transforment promptement en une pâte onctueuse,

  1. Mémoire sur les côtes de la Haute-Normandie, comprises entre l’embouchure de la Seine et celle de la Somme, considérées relativement au galet qui remplit les ports situés dans cette partie de la Manche, par M. de Lamblardie, ingénieur des ponts-et-chaussées, (In-4°, Le Hâvre, 1789.)