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Aujourd’hui seulement il est à propos de mettre en une lumière plus éclatante cette vie cachée d’où l’avenir va peut-être sortir demain tout en armes. On a vu par quels ressorts et pour quels plans la Société démocratique polonaise s’était peu à peu formée sur la terre étrangère : voyons-la maintenant à l’œuvre sur ce sol sacré de la patrie qu’elle a vraiment reconquis par la grace sanglante du martyre, en attendant qu’elle le possède par le droit triomphant de la victoire. L’émigration à peine assise dans l’exil s’est en effet retournée contre l’impitoyable ennemi qui l’avait bannie ; elle est rentrée, de traverse en traverse, au cœur même du pays qu’on lui fermait ; elle y a repris pied par la propagande : les émigrés sont devenus émissaires. J’ai raconté leurs principes ; je veux à présent raconter leurs actions ; la foi n’est rien si l’on ne la confesse ; ils ont été jusqu’au fond de la Pologne russe, les glorieux confesseurs de la démocratie. Suivons-les donc sur le théâtre trop ignoré de leurs combats et recueillons les traces trois fois saintes qu’ils ont laissées dans leurs rudes sentiers. Il y a là des exemples qu’il faudrait, à l’heure qu’il est, écrire en lettres flamboyantes partout où l’écriture est libre, pour que cette flamme allât au loin réchauffer tous les cœurs éteints, pour qu’elle pût en ce moment même resplendir à Varsovie. Voilà pourquoi je rassemble encore quelques feuillets épars de cette histoire héroïque qui va peut-être un jour trouver son historien.

L’histoire vraie de la Pologne est depuis long-temps toute pleine de tragiques mystères ; elle est ensevelie sous les voûtes épaisses des mines, dans l’ombre des casemates et des basses fosses, dans l’ombre plus secrète encore des ames ulcérées. D’autres peuples sans doute ont été déjà des peuples martyrs, mais du moins ont-ils souffert au grand jour, et, quand ils gravissaient leur Calvaire, ils pouvaient penser que le monde les regardait. Il n’en est point ainsi de la Pologne : sa voie douloureuse est une voie souterraine. Nul ne saura les vertus qu’elle a consumées et comme enfouies dans les ténèbres de la persécution. Tout a passé là ; tout ce que le caractère national avait d’énergie, de souplesse et d’audace, tout a été absorbé par un seul et même effort : lutter, pâtir et mourir en silence ; une lutte de muets étranglés par des muets !

Aussi Mickiewicz, le poète de la Pologne nouvelle, c’est le poète des cachots. Konrad Wallenrode, le plus cher enfant de son génie, le héros des Dziady, c’est un prisonnier sublime, tantôt désespéré jusqu’à blasphémer Dieu, tantôt ravi jusqu’aux extases du mysticisme. Cette œuvre fantastique des Dziady, cette épopée grandiose qui se déroule entre des caporaux, des geôliers et des knouteurs russes, c’est presque partout une peinture de supplices dont la réalité ferait pâlir des toiles espagnoles. L’hospitalité de la France n’a pas même calmé l’imagination malade de l’illustre exilé. Ces sombres rêves de misères et de tourmens n’ont pas cessé de le poursuivre chez nous. Rien n’est triste à lire comme cer-