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n’est pas historien ; il appliquera donc sa philosophie aux choses politiques, et sa philosophie, appliquée telle qu’il la prêchait aux dernières élections, devant le club de M. Barbès, dans un concile dont il devait être la lumière, son système à lui, c’était de faire que le gouvernement de la commune, comme l’art de l’imprimerie ou celui du sabotier, devint enfin à la fois sensation — sentiment — connaissance. Somme toute, il est évident qu’il faudra mettre M. Leroux au comité de constitution.

Grace à l’ensemble avec lequel le peuple votait pour ses futurs bienfaiteurs, grace à la coupable nonchalance des heureux de certains arrondissemens qui n’ont pas daigné interrompre les loisirs de leur villégiature, Paris aurait peut-être encore reçu pour représentant tel ou tel des prisonniers de Vincennes, si l’apparition d’une candidature inattendue n’avait déconcerté toutes les combinaisons. Cette candidature est sortie de terre comme un décor de théâtre au coup de sifflet du machiniste. Le prince Louis-Napoléon, le prétendant de Strasbourg et de Boulogne, s’est trouvé député de Paris avant même que Paris se doutât qu’il pourrait l’être. L’étoile impériale se levait au même instant avec la même soudaineté pour recevoir le même hommage dans l’Yonne et dans la Charente-Inférieure. Les paysans de la Saintonge, entraînés à l’improviste comme par un signal, déchiraient leurs bulletins, déjà tout écrits, pour substituer le nom fascinateur des Césars au nom d’un citoyen républicain. Les ouvriers de Paris, les travailleurs des ateliers nationaux, effaçaient de la liste sacramentelle qu’on leur avait distribuée le nom qui plaisait le moins à chacun en particulier, le nom sur lequel chacun avait eu le plus de répugnance à vaincre, et ils proclamaient Louis Bonaparte. Qu’il y ait dans cet élan des suggestions artificielles, de l’argent répandu, des émissaires autorisés ou non, mais vigoureux et adroits, cela ne fait pas doute en présence des troubles qui ont accompagné, qui accompagnent encore cet étrange avènement d’un proscrit. Il est cependant autre chose sous ces manifestations, autre chose de plus grave. Si elles étaient circonscrites à Paris, on pourrait imaginer qu’elles servent uniquement de prétexte et de masque aux menées souterraines des purs anarchistes ; rayonnant, comme elles font, jusqu’en province, elles traduisent assurément une portion plus intime et plus sérieuse des vrais sentimens populaires. Les masses ne se sentent pas gouvernées depuis tantôt cinq mois, et elles aspirent à l’être ; elles votent un nom qui est pour elles l’idéal de la force glorieuse. Cela ne prouverait pas qu’elles soient très imbues de l’esprit républicain, mais cela doit servir de leçon aux républicains qui nous administrent.

La leçon a-t-elle été comprise par la commission exécutive quand M. Lamartine, sous l’émotion trop directe d’un attentat qu’il a tout de suite trop poétisé, a demandé du haut de la tribune nationale que l’assemblée refusât d’admettre dans son sein le prince Louis Bonaparte ? Nous ne le croyons pas. Exclure le représentant du peuple, c’était constituer le prétendant impérial ; l’assemblée n’a pas sanctionné cette faute. La commission exécutive en a été pour une démarche avortée. Les inquiétudes qu’elle laissait percer auront peut-être semblé trop particulières, nous ne voulons pas dire trop égoïstes, et l’assemblée, qui n’aime la république que pour elle-même, aura voulu montrer avec éclat qu’elle ne craignait pas du tout sur ce large et ferme terrain un compétiteur dont sa commission s’était si vite effrayée du sein des régions plus exclusives qu’elle a fort à cœur de s’approprier,