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croyances, possède encore un sentiment religieux qui ne demande qu’à prendre forme. Rendons grâces au temps qui a emporté et détruit tant de choses, puisqu’il a respecté encore la tradition chrétienne, puisque, malgré le culte de la nature, les temples théophilanthropiques, le déisme, le théisme, le scepticisme et l’athéisme, nous avons encore une église dans laquelle nous sommes nés et dans laquelle nous mourrons, qui est encore pour beaucoup l’arche du salut et pour tous un souvenir sacré.

Récapitulons un peu tous les symptômes que nous avons énumérés. Le règne de indifférence et de l’utopie, le désir exagéré du bonheur, l’artificiel, le pastiche, la puérilité, l’archaïsme partout, l’anarchie dans les intelligences, la tradition brisée, l’idée religieuse absente, le cœur de l’homme laissé sans aliment, ses sens en proie au cauchemar, son ame en proie au sommeil, aux rêves, aux chimères, n’est-ce pas que tout cela présente un assez triste spectacle ?

Oui, ce spectacle est triste, car jamais ni le scepticisme ni l’indifférence ne sauveront une nation, toujours ils produiront des fruits amers et des plantes stériles. Il y a, je le sais, des symptômes plus rassurans, mais c’est une lueur si faible, si vacillante, qu’elle semble près de s’éteindre à chaque minute. vous, qui que vous soyez, savez-vous le remède ? De quelque part qu’il vienne, oh ! qu’il sera bien reçu ! J’ai exposé froidement, mais avec une grande tristesse intérieure, ces symptômes de notre temps. Ils sont passagers, je le sais ; ce sont les symptômes d’un temps de transition ; mais quand cessera la transition, et surtout comment cessera-t-elle ? Comment la vie se renouvelleras-elle ? Nous assistons à un spectacle digne de Byzance. Par momens, on dirait que la civilisation va mourir chez nous. Toutes les idées sont faussées, les esprits sont disloqués, la morale pervertie ; le charlatanisme abonde en revanche. L’idée d’autorité, le sentiment d’obéissance, sont détruits ; l’idée du devoir n’existe plus et n’est plus qu’une machine de guerre propre à l’émeute et un mot que les passions seules profèrent encore. Sous quels décombres gît l’idée de hiérarchie ? Quant à l’idée religieuse, cela nous importe peu. Le sentiment de la charité, fi donc ! cela est bon pour des mendians et des chrétiens ; nous sommes plus stoïciens que cela ; la charité abaisse l’homme d’une part et constitue un privilège de l’autre, ne fût-ce que le privilège de l’abnégation. Le bien-être pour tous, mais pour moi d’abord, voilà la charité de ce temps-ci. Le sentiment du respect est entièrement perdu : du respect de la loi, qui n’a plus aucun prestige, étant simplement une abstraction sans réalité et un droit écrit sur une feuille volante ; du respect des personnes chargées de gouverner, qui ne sont plus, dit-on, que des commis, ce qui est absurde, et des bureaucrates, ce qui n’est que trop vrai. La science n’est plus qu’un bélier propre à renverser les murailles et un cheval de bois propre à cacher les conspirations ; elle sert à tous les usages, elle est la très humble servante de tous les partis, excepté de la vérité. Il n’y a plus d’amour sincère pour la science. L’art, qui a toujours été pour les hommes une révélation de l’infini, ne servira plus, dans quelque temps, qu’à des objets d’utilité ; il deviendra pratique, net et clair, comme on dit aujourd’hui. Les romances, les chansons patriotiques, les lithographies politiques et les statuettes étalées sur les ponts seront les seuls objets artistiques ; la littérature se composera de rapports, décrets, premiers-Paris et articles politiques. Alors les arts et la littérature seront utiles et serviront