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portrait de Danton nous offre ce passage : « Danton fut supérieur à Robespierre, sans avoir, ainsi que lui, donné son nom à ses crimes… Ses passions auraient pu être bonnes, par cela seul qu’elles étaient des passions. On doit faire la part du caractère dans les actions des hommes : les coupables à imagination comme Danton semblent, en raison même de l’exagération de leurs dits et déportemens, plus pervers que les coupables de sang-froid, et, dans le fait, ils le sont moins. »

Nous assistons ensuite aux séances du club des Cordeliers. N’admettant point que le salut de la patrie soit intéressé à ce qu’on peigne en rose cet assemblage de figures très foncées, M. de Chateaubriand les reproduit telles qu’il les a vues, et il faut convenir qu’elles ne sont point belles. Marat est laid, le lecteur en devra prendre son parti ; Chaumette est laid, Danton est laid, Fouché est laid ; Camille Desmoulins lui-même n’est pas beau ; pour ce dernier, qui était plus fou que méchant, si funeste qu’ait été parfois sa folie, nous aurions désiré un peu moins de rigueur avant d’arriver à la conclusion où M. de Chateaubriand parle, d’ailleurs, avec une équité si éloquente de l’auteur du Vieux Cordelier, dont la belle mort a presque amnistié la vie. « Il serait injuste, dit-il, d’oublier que Camille Desmoulins osa braver Robespierre et racheter par son courage ses égaremens. Il donna le signal de la réaction contre la terreur. Une jeune et charmante femme pleine d’énergie, en le rendant capable d’amour, le rendit capable de vertu et de sacrifice. L’indignation inspira l’éloquence à l’intrépide et grivoise ironie du tribun ; il assaillit d’un grand air les échafauds qu’il avait aidé à élever. » Voilà de l’histoire, de la véritable histoire à opposer à ces récits étranges, qui, transformant le mal en bien, et le bien en mal, feraient presque un crime à Camille Desmoulins du seul acte qui protégera son nom devant la postérité.

Quant au parterre du club des Cordeliers, il est encore plus laid que les acteurs. Pour peindre au naturel ce laboratoire d’énormités où se manipulèrent les massacres de septembre, M. de Chateaubriand ne craint pas de tremper son pinceau dans la couleur même du lieu, et de donner parfois à son beau style une allure sans-culottique dont s’offensera peut-être la pudeur des raffinés. Quoi qu’il en soit, ces tableaux à la Ribeira auront du moins l’avantage de trancher assez heureusement sur les peintures à la Watteau qu’on nous fait depuis quelque temps des mêmes sujets.

Après avoir peint la révolution en artiste, l’auteur des Mémoires la juge en penseur. Nous ne voulons point affirmer que l’avenir ratifiera toutes les opinions de détail qui peuvent se rencontrer dans ce grand livre. Comme le disait à sa manière M. Ballanche, M. de Chateaubriand a les deux natures, la nature patricienne et la nature plébéienne, et le conflit de ces deux natures se produit souvent dans les Mémoires comme