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même dégoût, le même dédain pour cette politique d’expédiens sauvages, qui, démoralisée par les circonstances, ne savait que couper l’arbre par le pied et ériger en système l’extermination.

Comment se fait-il que depuis vingt ans cette période de la révolution, que la voix du peuple a baptisée à jamais d’un nom sinistre, ait trouvé des historiens de plus en plus indulgent, et que de l’excuse, qui, à la rigueur, se comprend, on en soit venu à la glorification, qui ne se conçoit pas ? Il serait trop long d’entrer ici dans le détail de toutes les causes diverses qui ont concouru à ce résultat : on commence à le juger par ses fruits, et l’erreur ne tiendra pas long-temps devant la raison publique éclairée par l’expérience. Disons seulement que les deux gouvernemens qui ont précédé la république de février n’ont pas peu contribué à jeter les esprits dans cette conception fausse de la révolution. Le premier, celui de la restauration, presque toujours ouvertement contre-révolutionnaire, arguant sans cesse du mal pour nier le bien, conduisait naturellement l’opinion démocratiques à justifier le mal par le bien, et à refuser toute distinction entre les idées, les personnes et les actes de la révolution en présence d’un gouvernement qui n’en faisait aucune. Le gouvernement de juillet, plus engagé dans la démocratie, mais ne subissant qu’à regret le principe qui lui avait donné la vie, n’osait l’attaquer de front, mais cherchait constamment à le détruire par l’extinction de tout esprit politique, l’énervation du sens moral, le culte exclusif du moi et des intérêts matériels. Il provoquait ainsi une réaction d’autant plus dangereuse, qu’en s’appuyant sur la force invincible et saine du principe démocratique, elle était entraînée, pour agir sur l’opinion, par l’histoire du passé, à dénaturer ce principe et à costumer le passé à la mode du présent, c’est-à-dire à sacrifier la vérité et la justice à ce goût désordonné de mélodrame, d’émotions factices, de pathos et de fausse grandeur, qui est la plaie des sociétés amollies par le repos et blasées par l’ennui. De là ces histoires fantastiques de la révolution où, pour captiver les masses, le talent même s’abandonne aux erreurs les plus graves, aux excentricités les plus affligeantes.

Il est certain que les générations vigoureuses qui, depuis 1792 jusqu’en 1815, passèrent leur vie à braver la mort sur tant de champs de bataille, auraient peu compris les apothéoses que notre temps a vu produire. S’il est un genre de grandeur que l’esprit militaire ne saisit pas toujours, en revanche il est un genre de barbarie, de méchanceté, de perfidie ou de lâcheté, qui, même déguisées en stoïcisme et en patriotisme, ne sauraient faire illusion à un soldat. Nos armées, et c’est leur gloire, n’eurent jamais le sentiment de l’héroïsme, du génie, pas même de l’utilité des hommes et des expédiens de la terreur. Si la république française existe, disait en 1797 le vainqueur de Fleurus, l’honnête, le digne républicain Jourdan, c’est parce que ses vrais