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De tout temps, mon désir le plus ardent avait été de parcourir ces régions. Je ne doutais pas qu’il n’y eût là, pour le naturaliste, d’importantes découvertes à l’aire, des trésors sans nombre à recueillir. Je ne me trompais point, et le récit d’un épisode du voyage que j’entrepris à travers les solitudes de l’Amérique méridionale montrera combien de richesses attendent encore dans ces plaines inexplorées le passage du voyageur. C’est avec une joie profonde, on le comprendra, que je me vis placé à la tête d’une expédition scientifique chargée par le gouvernement français de visiter les parties les moins connues de l’Amérique du Sud. Un prince dont, quelles que soient les vicissitudes de la politique, le nom restera toujours cher à la France, M. le duc d’Orléans, avait contribué puissamment à l’organisation de ce voyage. Je ne m’étendrai pas sur les préliminaires, ni sur le plan de notre expédition ; je ne veux, je l’ai dit, raconter ici que quelques-unes des journées les plus aventureuses de ce long pèlerinage dont Rio-Janeiro, Lima, le Para, Surinam, marquent les principales étapes. Une excursion sur une des plus grandes et des plus mystérieuses rivières de la province brésilienne de Goyaz, l’Araguaïl, donnera une idée fort exacte des régions encore inexplorées de l’Amérique méridionale et des peuples qui les habitent.

C’est à Goyaz que le projet de cette périlleuse campagne fut formé. J’étais arrivé dans cette ville après avoir traversé très péniblement les forêts et les plaines désertes qui la séparent de Rio-Janeiro. Les jours qui précédèrent notre arrivée à Goyaz se rattachent trop étroitement à l’excursion sur l’Araguaïl, pour que je n’en dise pas quelques mots, en remontant même jusqu’à notre séjour dans la capitale du Brésil.

Partis de Brest le 30 avril 1813, nous entrions le 17 juin à Rio-Janeiro, et nous admirions cette magnifique baie parsemée d’îles dont l’apparence est féerique. Mes compagnons de voyage étaient M. Eugène d’Osery, jeune et savant ingénieur, dont le concours devait être si précieux à l’expédition, et dont un lâche assassinat devait, quelques années plus tard, interrompre si tristement la brillante carrière ; M. le docteur Weddell, à la fois médecin et botaniste, dont l’intrépidité et le savoir me furent souvent d’un grand secours ; enfin M. E. Deville, jeune naturaliste, le seul de notre petite phalange qui dût revoir avec moi le sol de la France, après avoir accompli dans tous ses détails l’immense tâche qui nous était assignée.

On a souvent décrit la capitale du Brésil. Ce qu’on n’a pas assez remarqué, c’est le curieux aspect de sa population maritime. Les eaux de la baie, si pures et si tranquilles, sont sillonnées chaque jour par des centaines de navires destinés pour toutes les régions de la terre. Depuis l’élégante frégate jusqu’au dégoûtant baleinier, toutes les formes de constructions navales inventées par le génie de l’homme se trouvent réunies dans ce port. On peut dire que nul point du globe n’offre