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ramener les animaux dispersés, il est vrai, mais avec une faim dévorante. La nuit s écoula dans des chants et des danses, au son de la guitare.

Nous passâmes ainsi trois jours dans une vaine attente, et je me décidai alors à retourner avec mes compagnons à Goyaz, un peu honteux, je l’avoue, des débuts de cette expédition, que tout le monde avait déclarée impossible. Les rires et les quolibets ne nous manquèrent pas, quand nous reparûmes dans la ville. Ces pauvres étrangers, qui, dans leur ignorance du pays, avaient voulu faire ce que n’osaient entreprendre les habitans les mieux informés, revenaient après un voyage de trois lieues ! Cependant je dois dire à l’éloge des Brésiliens que l’on ne négligea rien pour nous faire retrouver nos animaux ; un bataillon entier fut dispersé dans la campagne, et au bout de huit jours tout avait reparu, tout était réorganisé. A notre second départ, nos hôtes, malgré leur politesse, dissimulaient avec peine leur sourire, et, au moment de nous éloigner, nous entendîmes cet adieu ironique : Au revoir, à bientôt !

Trois jours après avoir quitté Goyaz, nous pouvions déjà commencer nos études sur la vie sauvage : nous avions atteint le village de Caretao, habité par les Indiens de deux tribus, les Chavantes et les Cherentes, qui appartiennent à la même nation. Ils étaient peu nombreux et dans un état assez misérable. Leur costume se composait d’une chemise et d’un pantalon de grossière étoffe de coton, fabriquée par eux-mêmes. Ces Indiens ne sont chrétiens que de nom, car, depuis bien des années, aucun prêtre n’a résidé parmi eux. Bien que parfaitement paisibles, ils entretiennent des communications fréquentes avec la portion des deux tribus qui, sauvage et hostile aux blancs, vit encore dans le désert ; celle-ci est anthropophage, et plusieurs même des hommes du village de Caretao avaient aussi mangé de la chair humaine. J’emmenai comme guides et interprètes six de ces Indiens, parmi lesquels deux étaient anthropophages : je n’eus qu’à me louer de ces gens, qui partagèrent avec moi toutes les fatigues du voyage et me furent des plus utiles sous tous les rapports. Chaque fois qu’un de ces Indiens mange un de ses semblables, il se fait, avec son couteau, une cicatrice sur la poitrine, et j’avais vu à Goyaz leur principal chef, Chiotay, qui montrait plus de cent de ces marques tristement significatives. La tribu des Cherentes se reconnaît à la tonsure qu’elle porte, comme les ecclésiastiques, sur le sommet du crâne.

En quittant Caretao, nous nous dirigeâmes vers le nord-ouest, et bientôt une des plus belles régions que j’aie vues de ma vie se déroula devant nous. De magnifiques plaines ondulées s’étendaient à perte de vue ; çà et là étaient dispersés de beaux bouquets d’arbres aux formes les plus bizarres et appartenant presque tous à la famille des palmiers.