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leurs sentimens en ont tenus éloignés. Après les peines infructueuses qu’a prises le ministre des travaux publics pour obtenir à cet égard, de l’ancienne administration, les renseignemens les plus élémentaires, de simples citoyens seraient mal venus à se plaindre de n’avoir pas les secrets de cette dérisoire organisation du travail. Cependant, en la voyant en fonction, on a pu calculer que sur divers points, où le mètre cube de terrasse devait revenir à 40 centimes, il a coûté 8 francs, et qu’une journée de 2 francs rendait pour 40 centimes d’ouvrage. Un atelier qui, placé dans le service du génie militaire, a été complètement affranchi d’un certain ordre d’abus, celui du Champ-de-Mars, a déplacé environ 120,000 mètres cubes de terre ; ce travail aurait coûté, fait par des soldats, 45,000 francs, et, fait à l’entreprise par des ouvriers civils, 80,000 francs : à compter le temps qu’il a duré et les 3,000 hommes employés, la dépense effective ne peut pas être au-dessous de 400,000 francs. Il est juste de dire que cet atelier, indépendant de la direction de Monceaux, n’avait de jeux de loto ni de dominos en permanence, qu’on n’y prenait pas d’autres distractions que le chant, le tabac et les exercices gymnastiques, qu’il était difficile au même individu d’y figurer à la fois dans trois ou quatre chantiers, et que ce n’était pas celui où s’inscrivaient de préférence les amateurs de cumul occupés ailleurs. A Lyon, les abus ont été plus révoltans. Les ateliers n’ont rien fait, que servir de repaire à des associations qui ont porté la désolation dans toute la cité.

Des hommes réunis dans de pareilles conditions ne peuvent pas se croire appelés à travailler. Quelques-uns s’imaginent avoir à défendre la république, et leur pensée se manifeste dans des œuvres telles que la réponse que tout Paris a vu placarder, le 30 mai, à une opinion émise dans le sein de l’assemblée nationale sur les salaires qu’on obtient en ne travaillant pas ; d’autres, ennemis par système de tout ordre et de toute société, prêchent leur science funeste à des hommes simples dont ils pervertissent les instincts honnêtes, et la masse, se soumettant à des meneurs qui l’abusent pour l’exploiter, les suit partout où il leur convient de les conduire. C’est ainsi qu’on a vu, parmi les auteurs de l’attentat du 15 mai, des groupes sortis des ateliers nationaux marcher bannière déployée, sans que la plupart des hommes qui les composaient se doutassent du but vers lequel on les poussait ; c’est ainsi que les agitateurs de tous les ordres ont considéré les ateliers comme un instrument docile toujours disponible sous leur main, et l’ont témoigné par les réclamations qu’ont soulevées tous les projets de dissémination des travaux.

Si habitués que nous devions être aux manifestations turbulentes, elles suspendent le travail dans la cité, en éloignent les étrangers, et la part qu’y prennent les ateliers nationaux ôte de la main des véritables