Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 23.djvu/244

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mantelets bruns, un livre d’heures et un rosaire dans les mains, se dirigent à pas menus vers le grand dôme, attirées par le son des cloches et le ronflement de l’orgue.

À ces sons lointains, un secret frisson s’empare de moi. De vagues désirs, une profonde tristesse, envahissent mon cœur, mon cœur à peine guéri. Il me semble que mes blessures, pressées par des lèvres chéries, saignent de nouveau ; leurs chaudes et rouges gouttes tombent lentement, une à une, sur une vieille maison qui est là dans la ville sous-marine, sur une vieille maison au pignon élevé, qui semble veuve de tous ses habitans, et dans laquelle est assise, à une fenêtre basse, une jeune fille qui appuie sa tête sur son bras. Et je te connais, pauvre enfant ! Si loin, au fond de la mer même, tu t’es cachée de moi dans un accès d’humeur enfantine, et tu n’as pas pu remonter, et tu t’es assise étrangère parmi des étrangers, durant un siècle, pendant que moi, l’ame pleine de chagrin, je te cherchais par toute la terre, et toujours je te cherchais, toi toujours aimée, depuis si long-temps aimée, toi que j’ai retrouvée enfin ! Je t’ai retrouvée et je revois ton doux visage, tes yeux intelligens et calmes, ton fin sourire. — Et jamais je ne te quitterai plus, et je viens à toi, et, les bras étendus, je me précipite sur ton cœur.

Mais le capitaine me saisit à temps par le pied, et, me tirant sur le bord du vaisseau, me dit d’un ton bourru : « Docteur ! docteur ! êtes-vous possédé du diable ? »


Purification.

Reste au fond de la mer, rêve insensé, qui autrefois, la nuit, as si souvent affligé mon cœur d’un faux bonheur, et qui, encore à présent, spectre marin, viens me tourmenter en plein jour. — Reste là, sous les ondes, durant l’éternité, et je te jette encore tous mes maux et tous mes péchés, et le bonnet de la folie dont les grelots ont si long-temps résonné autour de ma tête, et la froide dissimulation, cette peau lisse de serpent qui m’a si long-temps enveloppé l’ame…, mon ame malade reniant Dieu et reniant les anges, mon ame maudite et damnée… — Hoiho ! hoiho ! voici le vent ! dépliez les voiles ! elles flottent et s’enflent ! Sur le miroir placide et périlleux des eaux, le vaisseau glisse, et l’ame délivrée pousse des cris de joie.

La Paix.

Le soleil était au plus haut du ciel, environné de nuages blancs, la mer était calme, et j’étais couché près du gouvernail, et je songeais et je rêvais ; — et, moitié éveillé, moitié sommeillant, je vis Christus, le sauveur du monde. Vêtu d’une robe blanche flottante et grand comme un géant, il marchait sur la terre et sur la mer ; sa tête touchait au ciel, et de ses mains étendues il bénissait la mer et la terre, et, comme un cœur dans sa poitrine, il portait le, soleil, le rouge et ardent soleil, — et ce cœur radieux et enflammé, foyer d’amour et de clarté, épandait ses gracieux rayons et sa lumière sur la terre et sur la mer.

Des sons de cloche, résonnant çà et là, attiraient comme des cygnes, et en se jouant, le navire, qui glissa vers un rivage verdoyant où des hommes habitent une cité resplendissante.