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vivre pendant l’année, absorberaient les bénéfices et une partie du capital. Ce serait ainsi une charge énorme pour l’état, qui devrait renouveler tous les six mois peut-être le fonds de roulement.

Ces aperçus rapides se compléteront par des faits mieux que par des argumens.

Le travailleur à une grande répugnance pour l’association ; c’est déplorable peut-être, mais c’est un fait qui s’explique aisément. Cela tient principalement à l’inégalité des aptitudes des hommes. On associe facilement les écus, parce que chaque millier de francs à la même valeur productive. Il faudrait qu’il en fût de même des hommes pour que l’association pût s’établir et durer. Dieu ne l’a pas voulu. Aussi les liens du sang, l’amour filial, sont-ils souvent insuffisans pour maintenir l’association du travail dans la famille. Dans les contrées cultivées par des métayers, on voit tous les jours les fils, les gendres se séparer de leurs vieux parens. J’ai souvent recherché la cause de ces séparations, et j’ai pu m’assurer que presque toujours celui qui les provoque, c’est l’homme vigoureux qui ne veut plus s’exténuer et s’imposer des privations pour nourrir des vieillards et des enfans en bas âge. La générosité du cœur humain est rarement assez grande pour que l’on consacre un travail très dur à l’alimentation d’autrui ; on ne fait cela que pour sa femme et ses enfans.

L’association pour le travail, dans les cas rares où elle s’établit, ne peut durer qu’autant que les ouvriers ont à peu près la même force, la même activité, la même intelligence. On voit toujours les ouvriers se choisir pour entreprendre un travail en commun ; encore faut-il, pour que l’harmonie se maintienne, que l’entreprise ne soit pas de longue haleine. Un exemple le prouvera ; il m’est personnel, et je dirai en passant que j’ai pratiqué l’association plus, beaucoup plus que nos grands professeurs de socialisme, qui ne la prêchent avec tant d’ardeur que parce qu’ils n’en ont aucune expérience.

Voulant faire un essai de la colonisation militaire, afin de pouvoir appuyer sur des faits les propositions que j’avais à présenter au gouvernement, je fondai autour d’Alger, en 1842, trois villages avec des soldats. L’un, Fouka, le fut avec des libérés, les deux autres, Méred et Mahehna, avec des hommes qui devaient encore à l’état trois ans de service. Je soumis les colons au travail en commun ; cela était d’autant plus praticable, selon moi, que, jouissant des vivres et de la solde, ils devaient attacher moins d’importance au produit de leur peine. Ce produit devait former un fonds commun, destiné, au bout de trois ans, à faire les frais du mariage et à procurer à tous uniformément le mobilier de la maison et de l’agriculture.

Dès cette époque, je connaissais les difficultés de l’association dès travailleurs : ma pratique agricole me les avait révélées ; mais j’espérais