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Toutefois je ne le suivrai pas dans toutes ses impossibilités ; je me bornerai à l’envisager dans son influence sur la production agricole. Cela suffira, puisque la prospérité agricole est l’existence nationale elle-même.

Ce qu’il faut reprocher aux communistes, ce n’est pas le défaut de logique. Pour introduire une ombre de justice dans la communauté, il fallait tout placer entre les mains du gouvernement, afin qu’il y eût une direction pour le travail et pour la répartition des produits. Si la communauté eût été établie séparément pour chacune de nos communautés actuelles, on n’aurait point obtenu cette égalité que l’on poursuit contre l’œuvre de Dieu lui-même, car il y a des communes riches par le sol et d’autres très pauvres. Voilà donc le gouvernement chargé de diriger l’agriculture de 52 millions d’hectares et d’en répartir les produits, de manière à ce que tout le monde soit largement pourvu ; car ce n’est pas la misère ou la médiocrité actuelle que veulent ces hommes passionnés pour le bonheur du peuple. Il est inutile de faire remarquer qu’il faudrait, pour remplir cette partie de l’incommensurable tâche, une énorme armée de directeurs, de maîtres, de contremaîtres, de surveillans, de comptables, de garde-magasins, etc., etc. ; mais le plus difficile, c’est de produire. Qui travaillera pour cette communauté universelle ? On ne se livre avec ardeur aux durs travaux de la terre que lorsqu’on est stimulé par l’intérêt personnel, par l’amour de la famille, par le besoin de nourrir sa femme et ses enfans. On ne travaille pas, ou presque pas, pour une communauté universelle et sans l’espoir de recueillir directement les produits de ses sueurs ; chacun s’en rapporte à tous pour assurer la production nécessaire à tous. On pourra bien faire faire par ordre, par corvées, quelques travaux de labour et d’ensemencement ; mais ne sait-on pas comme on travaille pour le public ? L’application de la loi sur les chemins vicinaux est là pour nous l’apprendre. Voyez ce pauvre maire ; zélé par exception, il convoque cent prestataires à cinq heures du matin pour réparer un chemin impraticable ; il en vient dix à huit heures, ils travaillent nonchalamment jusqu’à neuf heures. Vient alors le déjeuner, qui prend deux heures, et ce n’est que sur les instances réitérées du malheureux maire qu’on reprend la pioche pour la laisser tomber avec mollesse sur la terre jusqu’à l’heure d’une nouvelle collation. L’atelier, si cela mérite ce nom, est déserté avant le coucher du soleil ; voilà ce qu’est le travail public. Et vous espérez qu’avec un pareil travail la nation sera nourrie plus abondamment qu’elle ne l’est ? Sachez que, pour la faire vivre médiocrement, il y a 24 millions d’individus qui, poussés par la nécessité et l’amour de la famille, travaillent très durement tous les jours de la vie depuis l’aube jusqu’après le coucher du soleil.