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Cette mesure eut un effet immense. En 1845, tous les candidats ministériels échouèrent Bruxelles, à Anvers, à Liège ; le parti catholique y fut décimé. Tous ceux qui avaient prêté main forte à M. Nothomb, tous les hommes du parti mixte succombèrent, et ce ministre, qui, dans le dernier vote de la session précédente, avait réuni 60 voix contre 20, dut résigner ses pouvoirs pour aller cacher, comme le lui avait prédit M. Devaux, sa honte dans une ambassade.

Le roi Léopold ne comprit point encore cette fois la voix nationale. Après cette défaite, le parti catholique et la nuance mixte se renvoyèrent mutuellement la faute. Frappés tous deux, l’un reprochait à l’autre d’avoir été la cause unique de la déroute. Les catholiques et les mixtes se flattaient qu’après la chute de M. Nothomb, l’opinion se calmerait. Autour du roi, c’était à qui présenterait cette erreur comme une vérité. Le pays, disait-on à la cour, n’est pas exclusif ; il veut toujours de l’ancienne Union ; il veut toujours des hommes sages de l’opinion libérale et de l’opinion catholique, et le roi, qui, un moment, semblait avoir eu l’instinct de la situation véritable, et qui avait donné à M. Rogier la mission de composer un cabinet, le roi écouta les perfides conseils de ceux qui l’entouraient : il essaya de nouveau d’une combinaison mixte.

Ce fut M. Van de Weyer, complètement étranger depuis quinze ans à nos luttes, qui vint de Londres pour former un cabinet dont la présidence lui appartenait à la vérité, mais où figuraient deux autres membres importans, issus du parti catholique pur. La probité de M. Van de Weyer n’eut pas besoin d’une longue épreuve pour comprendre que l’opinion libérale n’avait rien à espérer du parti catholique. Voulant, pour bien poser la question, présenter aux chambres une loi libérale sur l’instruction moyenne, il trouva immédiatement dans ses collègues la résistance que les libéraux lui avaient prédite. L’enseignement était, en effet, un si puissant levier, que le clergé résolut de n’entrer d’aucune manière en composition. M. Van de Weyer ne faillit ni à ses promesses ni à son origine, et, quelques efforts qu’on fît pour le retenir et pour le faire céder, il se retira, aux applaudissemens du parti libéral.

Une nouvelle démarche fut tentée auprès de M. Rogier. Le roi lui donna de nouveau la mission de former un cabinet libéral. M. Rogier accepta le mandat ; mais les influences catholiques qui assiégeaient les abords du trône ne laissèrent pas plus que la première fois mûrir cette combinaison. Comme la première fois, M. Rogier, se souvenant de l’inqualifiable acte du sénat en 1841, posa pour base de toute acceptation la faculté de dissoudre les deux chambres, ou celle des deux qui ferait une guerre punique au libéralisme. Cette exigence fit avorter la combinaison libérale. Il devenait désormais impossible de composer un ministère mixte. Il ne se trouvait plus dans le parlement aucune ambition assez audacieuse pour affronter la colère publique en recommençant la tâche de M. Nothomb. La théocratie n’avait qu’un parti à prendre : c’était de gouverner elle-même, à ses risques et périls. C’est ce qu’elle tenta de faire. Elle ordonna à tous les hommes importans du parti catholique de s’asseoir sur la roche Tarpéienne, et ils obéirent avec résignation. Le ministère de Theux prit le pouvoir. Ce nom seul fit tressaillir la nation entière ; elle ne semblait plus avoir de choix qu’entre une résistance légale poussée jusqu’à l’héroïsme et une révolution. Nous avions notre ministère Polignac. La nation choisit la résistance légale.