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Aujourd’hui, qui pourrait l’en blâmer ? Le corps électoral marchait de plus en plus avec elle, et les élections, qui avaient lieu tous les deux ans, avaient déjà fait de nombreux vides dans les rangs du parti théocratique. Encore quelques efforts, et l’on avait la conviction que le cabinet catholique devrait se retirer devant la majorité du parlement. Six ans de lutte nous promettaient ce résultat. Pour avoir foi dans l’avenir, le pays n’avait qu’à interroger son passé. Résumons ici les faits essentiels dont l’enchaînement avait produit les difficultés qu’il restait à résoudre.

Avant la révolution, les catholiques et les libéraux étaient unis ; la force réelle était du côté des derniers.

Après la révolution, cette union s’était maintenue lorsqu’il s’était agi de formuler la constitution.

Puis était apparu un parti libéral sans consistance et sans formule : le pays n’en avait pas voulu.

Ensuite un parti libéral sérieux, progressif, s’était présenté, et le pays l’avait soutenu. Pas un des hommes de ce parti n’a été abandonné des électeurs depuis 1830.

En 1840, le parti catholique tomba, et les libéraux arrivèrent avec l’assentiment du pays. Une intrigue les renversa. Alors les mixtes se montrèrent. Au premier choc, le corps électoral les décima ; au second, il les abattit complètement.

Enfin, une résurrection de l’Union fut tentée par M. Van de Weyer. Sa probité l’essaya, mais sa probité aussi l’abandonna. Cette tentative échoua à son tour.

On voyait donc clairement que la nation était mise en demeure par le ministère de Theux de se prononcer définitivement sur les prétentions catholiques. Dès son avènement, le cabinet ne put arracher un vote de confiance que par 50 voix contre 40. Quarante voix ! jamais l’opinion libérale n’en avait réuni autant contre un ministère quelconque. Il fallait donc déplacer dix voix seulement ; l’agitation pacifique devait amener infailliblement ce résultat. Aussi le peuple belge, qui, à côté de sa devise : l’union fait la force, semble appelé encore à proclamer cette autre vérité, que le progrès, c’est la patience, le peuple belge se résigna-t-il pour une année encore. Il avait foi dans les élections prochaines : il savait qu’elles renverseraient à tout jamais le parti théocratique.

C’est ce qui arriva en effet. En 1847, une année après l’entrée de M. de Theux aux affaires, la majorité appartenait enfin aux libéraux. De ce jour, le programme libéral fut implanté au pouvoir, de ce jour aussi datent toutes les réformes politiques qui, réalisées en peu de temps, ont sauvé le pays. C’est l’action libre et franche de nos institutions qui nous a valu d’échapper au contre-coup de la révolution de février et de ne pas voir éclater sur nos têtes les orages qui allaient réveiller en sursaut les deux Allemagnes. Il y eut aussi parmi nous sans doute quelques rares élémens d’agitation et de désordre ; mais la nation tout entière les a refoulés et réduits à l’impuissance. Cette partie de notre histoire, non moins instructive que l’autre, sera l’objet d’une lettre prochaine.

Bruxelles, 4 juillet 1848.