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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.


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14 juillet 1848.

Notre malheureux pays se relève à peine des coups qui ont failli précipiter sa ruine ; réchappé de l’abîme, il en mesure maintenant toute la profondeur, et il ne parvient pas à se croire sauvé. Il y a comme un vertige qu’on n’avait pas connu sur l’heure du péril, et qui saisit aujourd’hui les âmes les plus fermes, quand elles songent combien le péril était terrible. Il y a chez les plus stoïques une sorte d’ébranlement moral qui aiguise et prolonge des souffrances dont ils ne sentaient rien dans l’ardeur du combat. La société tout entière conserve un sombre aspect, que vous ne définissez pas et qui vous glace. On pleure ses pertes, on compte les victimes ; on les mène de sa personne ou de sa pensée jusqu’au dernier asile qui reçoit leurs dépouilles : c’est la semaine des funérailles. Encore a-t-il fallu, dit-on, abréger ces tristes honneurs, pour éviter quelque nouvelle tragédie : les sauvages qu’on nous a faits, au sein de notre patrie civilisée, ne nous laisseraient donc pas même enterrer nos morts ! Et cependant en voilà toujours de nouveaux qui succombent : les blessures ne pardonnent pas. Hier c’était Duvivier, l’austère soldat, un de ces hommes qui s’appelaient des hommes de Plutarque du temps de nos vieilles armées républicaines, républicain lui-même par nature, à prendre le mot désormais moins expressif dans son antique sens d’abnégation et de simplicité. Entre tous les caractères qui se sont produits à l’école de notre guerre africaine, celui-là peut-être était le plus original. Il s’était beaucoup creusé dans la solitude de ces commandemens indépendans qu’il affectionnait en Algérie, et nul, à coup sûr, ne recelait une imagination plus aventureuse sous une enveloppe plus sévère ; mais ce qu’il avait dans l’esprit d’un peu excentrique contribuait à le grandir plutôt qu’à l’égarer. Pas un n’eût été aussi heureux d’avoir donné sa vie pour la France, s’il ne fût tombé sous une balle française, lui et tant d’autres avec lui. Hélas ! après cette sanglante moisson de la guerre civile, le sacrifice de la France n’était pourtant pas encore terminé, l’épreuve n’était pas complète. Il est des instans d’affliction dans l’histoire des peuples, où il semble que tout ce qu’ils possédaient de force