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Le malheur de M. Carnot, nous avons presque peur de le lui apprendre, c’est d’avoir livré son cœur à un sous-secrétaire d’état qui voulait trop vite devenir illustre : M. Carnot est la victime innocente de son amitié pour M. Jean Reynaud. Nous nous sommes extasiés dans le temps avec tout le monde sur ces fameuses circulaires qui prêchaient l’ignorance aux maîtres d’école ; M. Carnot n’en était pas plus coupable qu’il ne l’est du manuel de M. Renouvier ; tout cela sentait trop fraîchement la tradition saint-simonienne : il n’y avait qu’un apôtre d’un degré supérieur qui pût l’avoir conservée dans cette précieuse intégrité. Or, voilà justement la tradition dont l’assemblée s’est offensée : le socialisme théocratique ne mord pas mieux qu’un autre sur ces âmes bourgeoises ; M. Jean Reynaud s’y est usé. M. Carnot régnait donc plus qu’il ne gouvernait ; on l’a pourtant traité comme s’il eût été responsable ; c’est là toute l’affaire. Nous ne connaissons pas du tout M, Vaulabelle ; nous l’attendons à la discussion du projet de loi d’instruction primaire.

Puisque nous en sommes au personnel du ministère, nous voudrions bien dire cette fois quelques mots du département des affaires étrangères. Nous avouons que nous sommes inquiets d’en trouver toujours les rênes si flottantes, quand les complications européennes deviennent à chaque moment plus graves. L’Europe change de face, et il y a partout une crise laborieuse qui la tourmentera jusqu’à ce qu’elle ait dépouillé sa vieille enveloppe. Il y a dès à présent, sur trois points à la fois, un craquement tout prêt : en Italie, en Turquie, dans le Nord. La guerre universelle est comme suspendue dans l’air au-dessus des nations rangées en bataille. La bataille va peut-être commencer demain sur l’Adige ; elle est à peine interrompue sur l’Eyder ; on sait le peu de temps qu’il lui faudrait pour gagner des rives du Pruth jusqu’aux portes de Constantinople. Ce qu’on ne sait pas, c’est qui est ou qui n’est pas le ministre des affaires étrangères de la république française. Le général Bedeau veut-il ou ne veut-il pas accepter le portefeuille ? M. Bastide va-t-il définitivement à la marine ? Nous n’y voyons pas d’inconvénient, et nous souhaitons même de le voir enfin tiré d’une position qui ne laisse pas d’être blessante pour sa dignité. Nous parlerons toujours de M. Bastide avec des égards très sincères ; la timidité mélancolique de cet esprit honnête et convaincu n’est pas propre à faire un chef de gouvernement ; mais, si elle ne donne pas beaucoup de confiance dans l’homme d’état, elle intéresse à sa personne. Nous avons d’ailleurs une reconnaissance particulière à M. Bastide pour le bon vouloir avec lequel il a réparé de son mieux les prodigieux dégâts que lui léguait M. de Lamartine. Celui-ci ne professait point toute la déférence qu’il eût dû à l’endroit de son secrétaire général ; il en causait même fort légèrement, et cependant l’application un peu lourde de M. Bastide devait du moins servir à combattre des désordres auxquels semblait se plaire l’incomparable étourderie de M. de Lamartine. Seulement M. Bastide n’a point eu assez d’autorité sur lui-même ou sur les autres pour résister toujours à des inspirations qu’une intelligence plus ferme eût su repousser. On se rappelle comment M. Mignet a dû donner sa démission pour avoir témoigné, dans une lettre particulière, des sympathies qui l’attachaient à la cause de la monarchie piémontaise. M. Cousin ayant écrit au comte Balbo l’origine de cette honorable disgrâce, le ministre de Charles-Albert a voulu que l’histoire devînt publique, et il a mis la lettre de M. Cousin dans la Gazette d’état