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que la résurrection de l’esprit municipal et les vieilles rivalités intestines de la péninsule, avaient pourtant ravi d’aise le parti républicain unitaire, qui, battu à Milan, plaça désormais à Venise son dernier espoir. Confiant aux flots de l’Adriatique le précieux germe de la république une et indivisible, M. Mazzini et ses amis proclamaient que le salut de l’Italie était à Venise, dernier rempart de la liberté, comme elle en avait été, au moyen-âge, le premier berceau. M. Mazzini, l’homme de l’avenir, qui répudie si dédaigneusement le passé et tient si peu de compte du présent, M. Mazzini applaudissait aux fantaisies rétrospectives de MM. Manin et Tommaseo, fantaisies qui n’auraient été que ridicules si elles n’avaient été dangereuses ; mais, pendant que ces Grecs du Bas-Empire controversaient au lieu de combattre, l’ennemi est venu jusqu’aux portes. Profitant de leur inaction, il a écrasé successivement les divers corps d’armée épars dans la Vénétie, qu’à défaut de communication avec l’armée piémontaise la prudence la plus vulgaire conseillait de relier entre eux et de faire pivoter sur Venise, choisie comme base d’opérations. Durando à Vicence, Pepe à Padoue, Zucchi à Palmanova, abandonnés à eux-mêmes, ont dû céder l’un après l’autre devant les généraux autrichiens, et ceux-ci, maîtres de tout le pays entre la Piave et l’Adige, bloquent aujourd’hui étroitement Venise, qui a reconnu, mais un peu tard, l’immense faute politique qu’elle avait commise. Le bon sens populaire et l’instinct de la conservation ont été plus forts cette fois que l’obstination des meneurs et des chefs de la république. Le 2 juillet, la veille du jour où devait se réunir l’assemblée nationale, la garde civique a fait une imposante démonstration ; elle s’est rassemblée aux cris de : Vive Pie IX ! vive Charles-Albert ! le président Manin a donné sa démission, et l’assemblée, le lendemain, a ratifié, à la majorité de 126 voix contre 6, cette première manifestation de la volonté publique. M. Tommaseo seul s’est abstenu de voter.

Voilà donc enfin le royaume de l’Italie septentrionale constitué en droit, sinon de fait ; mais une bonne part en reste à conquérir à la pointe de l’épée. Si les Autrichiens semblent se résigner à la perte du Milanais, ils expriment sur la Vénétie une opinion tout-à-fait différente. En un mot, ils paraissent s’être arrêtés à la pensée d’un partage qui, établissant la frontière italienne aux bords de l’Adige, conserverait aux Allemands la partie située à l’est de ce fleuve, c’est-à-dire la Vénétie tout entière. Des ouvertures dans ce sens ont été faites au roi Charles-Albert par un envoyé autrichien, M. de Schnitzer. M. de Schnitzer est un diplomate fort au courant des affaires d’Italie : il a résidé long-temps à Florence, où il était récemment encore conseiller de légation ; mais il est douteux que sa dextérité triomphe dans cette négociation, dont le succès ne dépend ni de lui, ni du roi de Piémont lui-même. Quelle que puisse être l’inclination secrète de Charles-Albert et de ses conseillers, ce prince s’est interdit par ses déclarations tout retour en arrière. Il a dit hautement, en tirant l’épée, qu’il ne s’arrêterait que lorsque le dernier Autrichien aurait repassé les Alpes ; l’Italie a enregistré ces paroles comme elle avait enregistré son fameux Italia farà da se, et l’inquiétude qui s’est répandue partout au premier bruit d’une négociation entamée avec l’Autriche aura prouvé au roi de Piémont qu’on ne l’a accepté qu’à la condition qu’il réaliserait l’unité complète, absolue, pour laquelle le pays s’est levé et a pris les armes. L’opinion s’est montrée, jusque dans ces derniers temps, unanime sur ce point. Le besoin d’unité et d’indépendance est le seul réel en Italie ; celui de liberté est à peu près factice, « Nous nous ferions gibelins avec Dante,