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dépassé le Mincio, que la discorde était déjà parmi les vainqueurs. Tout en proclamant bien haut la nécessité de l’union, chacun a pris sa part des querelles. Des questions intempestives de liberté publique et d’organisation intérieure sont venues se jeter à la traverse et détourner les esprits du seul but qu’on devait avoir en vue. Rome, sous ce rapport, n’a eu rien à envier à Florence, qui n’est point restée au-dessous de Turin. Un coup d’œil rapide sur ce qui s’est passé depuis quelque temps dans ces différentes parties de l’Italie suffira pour apprécier cet état, d’où peuvent sortir les plus grands dangers. Dans ces trois villes, les nouvelles assemblées législatives sont entrées en fonctions. Les premiers actes de ces réunions méritent d’être suivis. Ils sont une nouvelle révélation de l’esprit public, qui ne s’était encore manifesté en Italie que par la voie de la presse.

À Rome, la chambre des députés, convoquée pour le 5 juin, n’a pu se trouver en nombre et commencer ses délibérations que le 9. Ce jour-là, a eu lieu la première séance réelle, dans laquelle le comte Mamiani, ministre de l’intérieur, a lu le programme du cabinet. Si le gouvernement constitutionnel n’existait pas, a-t-il dit, c’est pour Rome qu’il faudrait l’inventer. Telle est aussi notre opinion. La question de la séparation des pouvoirs et de la sécularisation de l’administration est un problème difficile qui ne peut être résolu qu’avec l’aide du temps et avec beaucoup de patience ; pendant bien des années encore, ce sera la pierre d’achoppement du gouvernement romain ; mais le système constitutionnel est le seul qui, mettant à l’abri la personne du souverain, ici vraiment inviolable et sacrée, permette d’accomplir cette périlleuse transition. Les Italiens se sont plaints de dissentiment qui existeraient entre le pape et son ministère, sans songer que si, dans les autres états constitutionnels, l’identité de vues n’est point rigoureusement nécessaire entre le souverain qui règne et ses ministres qui gouvernent, elle doit l’être à Rome bien moins encore, et qu’ici le double caractère du souverain doit forcément le conduire à des actes qui n’impliquent pas une contradiction forcée avec lui-même ni un dissentiment réel avec ses ministres. Comme pape, Pie IX a publié cette encyclique dans laquelle le chef de la chrétienté, fidèle à son rôle, condamnait l’effusion du sang ; comme souverain temporel, il a laissé agir ses ministres. Pouvait-on exiger de lui davantage ? Le cabinet Mamiani et la chambre des députés ont voté comme il leur a plu la continuation de la guerre ; ils ont décidé que de nouvelles troupes iraient à la frontière, que des volontaires seraient enrôlés et des subsides levés. Cela est bien, mais il y a peu d’argent dans les caisses de l’état, et les volontaires ne se présentent pas à l’enrôlement. Les civici, qui avaient pris les armes dans le principe et fait assez bravement leur devoir, sont rentrés et restent chez eux. Avant que le général Durando eût capitulé dans Vicence, ils s’étaient déjà dispersés, sous prétexte que l’encyclique du pape ne leur permettait plus de porter les armes. Aujourd’hui, ils préfèrent les causeries du Forum aux fatigues de la guerre, et, comme au temps de Cicéron, ils se plaisent surtout aux joutes de la tribune aux harangues, du haut de laquelle leurs orateurs soutiennent intrépidement la guerre contre l’oppresseur de la patrie et demandant avec indignation s’il est vrai que quelques-uns songent à invoquer un secours étranger alors que l’Italie doit se libérer elle-même. Quant au peuple, qui n’a d’autre croyance que le pape et qui soupçonne M. Mamiani et ses amis de vouloir la république, il se montre peu disposé à