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d’exception en exception, s’élève sans cesse au-dessus des lois ? Ce que deviendrait la prospérité intérieure de la France, si elle était condamnée à gémir quelque temps encore dans de pareilles extrémités, chacun le sent et le dit ; mais ce qui résulterait pour notre situation au dehors, on n’y a peut-être pas encore assez songé.

Il pourrait très bien arriver que les autres nations de l’Europe, en nous empruntant tous les biens dont nous jouissions encore sans péril il y a peu de mois, l’égalité civile, la liberté d’écrire et de penser, l’inviolabilité de la justice, la sécurité des transactions, ne voulussent pas s’associer à ce cortège hideux, moitié sanglant, moitié burlesque, qu’on essaie aujourd’hui de faire marcher à la suite du char de notre grande révolution. Il se pourrait très bien qu’elles ne fussent nullement tentées d’arriver comme nous, en quelques mois, à n’avoir que le choix entre les violences de l’émeute et les salutaires rigueurs de l’état de siège, entre l’état d’une ville au pillage ou celui d’un régiment en campagne. En un mot, il pourrait se faire qu’en nous prenant tout ce qui est sorti des germes féconds de 1789, on nous laissât seuls en tête-à-tête avec les caricatures de 93, les saturnales du communisme et la juridiction des conseils de guerre.

Je n’ai garde, encore une fois, n’étant pas doué de la faculté de prophétie que semble donner à quelques journaux une confiance absolue dans deux ou trois idées générales, de rien prédire de positif sur un avenir aussi mystérieux ; mais il y a déjà, ce me semble, des faits qui font craindre que cette œuvre de triage entre nos bons et nos mauvais exemples ne soit assez près de se faire. À côté de la propagande révolutionnaire qui a suivi le mouvement de février, on voit déjà poindre une propagande en sens inverse dont nos désordres fournissent involontairement les moyens. N’a-t-on pas pris garde, en effet, que, pendant que notre révolution nouvelle donnait le signal d’insurrections populaires dans les pays encore dominés par le pouvoir absolu, elle a opéré un effet tout opposé en Belgique, en Espagne, en Angleterre, dans tous ceux par conséquent qui, jouissant, à divers degrés, des bienfaits de la liberté politique, passaient, il n’y a pas un an, pour former avec nous l’avant-garde de la marche de l’Europe ? Dans tous ces pays, par une impulsion instinctive, l’opposition s’est serrée autour du pouvoir. Le mouvement libéral a été non pas suspendu, mais plus sévèrement réglé. On a tenu à se séparer de nous assez nettement pour qu’il n’y ait pas de confusion possible. — En Italie même, malgré le peu d’affection que portaient les Italiens au dernier gouvernement, le même effet, à peine tempéré par l’esprit de parti, s’est fait sentir, et, à chaque lettre de Paris, les constitutions monarchiques, un instant ébranlées, reprenaient l’avantage sur les partisans, toujours rares, du système républicain. Les jugemens aigres-doux, les remontrances paternelles