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affaires étrangères et de la guerre. Les autres ministères en sont les dépendances ; ce sont des directions qui, placées sous des mains sages et patientes, devraient être aussi peu exposées que possible à la mobilité des courans politiques. L’instruction publique, les cultes, l’agriculture, les finances, la marine, la justice, les beaux-arts, le commerce, les travaux publics, les ponts-et-chaussées, les mines, sont des départemens très difficiles à administrer, qui réclament toute la vie de grandes capacités spéciales. Vous en faites des pouvoirs, et ce sont des travaux. Comme travaux, vous les mettez dans les mains de gens qui ne peuvent pas s’en occuper. Comme pouvoirs, vous en brisez le ressort. Pour rendre plus insensé encore cet éparpillement de forces, vous l’associez à la concentration municipale la plus intense, de manière à rendre la situation illogique jusqu’au ridicule, et à multiplier les antagonismes inévitables d’une analyse exagérée.

— Vous tendez sans cesse à l’unité par la pondération, oubliant que l’unité est monarchique dans son essence.

— C’est comme si vous disiez que la lumière est monarchique, et que la loi de la gravitation est tout-à-fait despotique. N’abusez donc pas des mots, et ne dites point que parler d’unité, c’est rappeler la monarchie. L’unité, c’est simplement l’accord des parties avec un centre régulateur, la condition indispensable de l’organisme. Quelle malheureuse folie d’imputer à la démocratie toutes les sottises et tous les vices ! Pourquoi l’unité serait-elle donc la monarchie ? L’unité, c’est la vie. J’entends par unité l’harmonie, plus essentielle à la forme démocratique qu’à toute autre, car une démocratie ne peut être ni discordante, ni vicieuse, ni énervée ; si, dans un régime pareil, toutes les ambitions tirent à elles, la mort arrive ; si la centralisation est violente, et que les efforts de ces ambitions deviennent excessifs, la mort violente s’ensuit. En France, où la vivacité et la culture de l’esprit surabondent et où les fortunes sont rares, qui donc n’est pas bon à faire un chef de bureau, un préfet ou un sous-préfet ? Aussi tout le monde veut-il l’être ; on touche peu d’argent ; on donne peu de zèle ; on sait peu de chose ; l’état vous nourrit, et on ne le sert guère. Mon ami, si vous êtes démocrate, et que vous aimiez peu les fonctionnaires, ayez-en donc un très petit nombre ; rendez l’accès des emplois très difficile ; honorez-les singulièrement, et, à la mort des détenteurs, supprimez les trois quarts des places. Vous aurez moins de créatures, mais vous aurez aussi moins d’affamés et d’ennemis.

— Voilà des pensées très républicaines, très Spartiates et très édifiantes : seulement rien n’est plus inutile. Le flot de la guerre sociale en Europe ne montera pas moins jusqu’à vous. L’humanité sainte n’en suivra pas moins son cours ; pendant que vous cherchez vos remèdes pratiques, ô pessimiste ! elle rejette ses langes de malade et marche en dépit de vous, lumineuse et régénérée.