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Tormoré, évêque 4e Cojocza ; elle avait été adossée aux marais du Danube, de manière à ne pas être enveloppée par la multitude des ennemis. Cette précaution deyait tourner contre elle. Le roi était au centre avec la cavalerie et les principaux seigneurs ; les escadrons turcs se précipitèrent sur ce point. Dans le premier choc, il tomba d’abord plus d’ennemis que de Hongrois ; mais bientôt l’aile droite plia sous la terreur du canon des Turcs, et la petite troupe où se trouvait le roi disparut au milieu de la mêlée : la déroute fut complète ; ce qui échappait au cimeterre périssait dans les marais.

Les évêques qui avaient pris part à cette guerre sainte, les nobles qui s’étaient rendus au dernier appel, furent ou massacrés dans la fuite ou égorgés après la victoire ; la liste des morts, que l’évêque de Bude nous a conservée, est un martyrologe des noms les plus illustres de la noblesse hongroise ; on y compte deux archevêques, cinq évêques et cinq cents magnats, qui expièrent ainsi leurs premières hésitations. Le corps du roi fut retrouvé par son écuyer trois jours après la bataille : Louis avait été entraîné à travers la campagne ; arrivé au bord d’un ruisseau fangeux, le Kârasso, il avait voulu lancer son cheval sur l’autre rive, mais il était retombé au milieu du fossé et avait été étouffé dans le limon sous le poids du cheval et de son armure.

II.

La bataille de Mohacz est, je l’ai dit, pour la constitution de la Hongrie, une époque décisive. Non-seulement le principe de l’hérédité va prévaloir sur celui de l’élection ; mais c’est à dater de cette époque qu’apparaît, dans la législation de la Hongrie, un élément qu’on ne rencontre que là, et qui complique singulièrement l’organisation constitutionnelle. Le roi de Hongrie n’est plus un prince national, c’est un souverain étranger ; il a d’autres états, des intérêts quelquefois contraires à ceux du pays ; il réside au loin ; il peut au besoin, avec ses propres soldats et les subsides de ses autres provinces, se passer du concours des états. Les diètes ont à se garder contre lui, non pas seulement comme une assemblée jalouse de ses libertés vis-à-vis du pouvoir exécutif, mais comme une nation indépendante contre l’ambition d’un conquérant voisin. Le caractère des lois se modifie profondément dans cette nouvelle période ; les états usent de leur influence pour introduire dans la législation des garanties de toute sorte. Ils ne veulent souffrir dans leur sein d’autres étrangers que le seul souverain ; ils s’attachent à tout ce qui manifeste la vie propre et nationale de la Hongrie ; sa langue, ses usages, et jusqu’à la chronologie particulière de ses rois, tout ce la devient une affaire d’état. C’est ainsi que de nos jours nous avons vu