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modernes, ce que saint Étienne est au début de la monarchie, une figure historique et nationale, à laquelle tous les partis rendent hommage.

III.

Léopold Ier avait attaqué les libertés des Hongrois ; il avait voulu ruiner la constitution au profit du pouvoir royal ; une domination nouvelle, un règne rempli de séditions et de guerres civiles, expliquent sa politique. Rien n’explique au contraire ni ne justifie celle de Joseph II ; rien ne l’absout de la crise révolutionnaire dans laquelle il jeta la Hongrie. Marie-Thérèse laissait à son fils un royaume florissant, et surtout un peuple dévoué ; il n’était plus question de conspirations ni de révoltes. La Hongrie s’était attachée à ses nouveaux maîtres du jour où elle avait combattu pour eux, elle les aimait ; en les sauvant, elle s’était relevée à ses propres yeux ; elle sentait qu’elle marchait maintenant de pair avec eux. L’esclave qui a sauvé la vie à son maître est affranchi.

Joseph II ne comprenait rien à ces sentimens. La Hongrie l’offusquait. Depuis long-temps il supportait avec impatience ses libertés et ses privilèges ; ce qu’il lui reprochait surtout, c’était d’échapper, par sa constitution particulière, aux règles uniformes, au nivellement que son esprit systématique voulait imposer à l’empire. Certes il y avait d’utiles réformes à introduire en Hongrie, mais il fallait faire ces réformes avec elle et par elle. Il la traita en pays conquis. Il ne voulait rien laisser subsister du passé. L’ancienne division en comitats fut supprimée, et le royaume divisé en dix cercles. J’ai déjà dit combien l’existence de ces petites républiques fédératives, ayant leurs magistrats, leur police, leurs tribunaux, leurs assemblées politiques, est nationale en Hongrie ; abolir cette division, c’était abolir les relations d’affaires, de propriété, les habitudes de famille, que le cours des temps crie dans les agglomérations d’individus. Des commissaires royaux investis d’attributions extraordinaires, ou, comme on dit aujourd’hui, de pouvoirs illimités, furent placés à la tête de ces nouvelles divisions. Toute franchise locale et communale fut supprimée ; les congrégations des comitats furent dissoutes. Les villes libres, les districts particuliers durent renoncer aux lois et aux juridictions spéciales qui leur étaient légalement assurées : on leva des contributions publiques, on changea ou on accrut les impôts sans le concours des états. Tous les privilèges de la noblesse à ce sujet furent abolis par un simple édit royal. La conscription militaire se fit sans distinction de personnes, avec une rigueur inconnue jusqu’alors, à main armée. L’administration de la justice fut bouleversée, trente-huit tribunaux de première instance furent établis