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rejoindre la main gauche, occupée à relever sa chevelure. Il encadre le visage, qui s’y appuie légèrement avec une grâce enfantine. Calme, souriante et grave, la blonde fille de Cœlus promène autour d’elle un regard paisible, et ses yeux, où se reflète l’azur profond des flots, contemplent avec un doux étonnement le vaste univers dont elle se voit la reine. Un groupe d’amours prosternés à ses pieds lui offre les premiers hommages, et, de tous les points de l’horizon, les divinités marines, sortant de leurs retraites, accourent admirer leur jeune souveraine, mêlant leurs cris joyeux et le son des conques au bruit de la mer retentissante.

Oui, c’est bien la Vénus antique, la déesse reine qui subjugue le monde, du vieil Hésiode ; c’est ainsi qu’elle se révéla au sein brillant de la mer des Cyclades dans toute la voluptueuse splendeur de sa beauté éternelle. M. Ingres a su nous la rendre telle que l’avait conçue la sérieuse antiquité et dépouillée de cette grâce mignarde dont la corruption du goût l’a plus tard revêtue. Une majesté sereine, attribut de la divinité, s’allie à la plus fraîche jeunesse sur ce gracieux visage de quinze ans. Dans son regard est peinte une fierté naïve. Elle ignore la pudeur comme la coquetterie, et, d’un geste indifférent, rejetant en arrière sa magnifique chevelure, sur laquelle glissent en perles brillantes les dernières larmes de sa mère, elle étale aux yeux de l’univers ravi la chaste nudité de son corps, poli comme un bloc de Paros.

Si l’on analyse attentivement cette poétique composition, on voit que le peintre en a su disposer toutes les parties avec une extrême habileté, et que tout concourt à l’effet général qu’il s’est proposé. L’attitude qu’il a adoptée lui a fourni le plus heureux choix de lignes. D’un côté, le bras droit relevé forme, avec le torse, la hanche et la cuisse, une courte ondulée, qui, se prolongeant depuis le sommet du coude jusqu’au genou légèrement affaissé, vient se relier au groupe des amours, destiné à former la base de la figure. La hanche gauche, cédant au même mouvement de flexion, se creuse par une seconde courbe parallèle à la première, et non moins harmonieuse ; les deux mains s’arrondissent en saisissant la chevelure ; pas un angle, pas une ligne heurtée ne vient briser l’accord de cet ensemble plein d’élégance et de noblesse ; le corps est svelte et déjà riche ; il a encore toute l’exquise délicatesse de l’adolescence et déjà toute la majesté d’une nature divine. Que si l’on voulait se rendre compte du soin extrême avec lequel cette pose a été combinée et de l’harmonie qui résulte de la justesse de toutes ces proportions, il suffirait de comparer l’Anadyomène de M. Ingres à celle de Titien. Dans celle-ci, la composition est nulle, et le choix du modèle est commun. Aussi n’y voyons-nous qu’un prétexte à une superbe étude de nu. Qui nous dira que c’est Vénus, que c’est une déesse ? Nous ne trouvons qu’une belle fille charnue, peignant vulgairement ses cheveux dans sa baignoire, où elle est enfoncée jusqu’aux genoux.

Quelques portions, entr’autres la tête, sont restées intactes et telles que M. Ingres les avait traitées dans l’esquisse. On s’en aperçoit aisément à un certain pointillé qui diffère de la manière dont le reste est brossé. M. Ingres n’a pas voulu toucher à la tête ; il a bien fait ; la tête était suffisamment terminée, et l’expression en est complète. Nous ne savons ce qu’il aurait pu y ajouter sans ternir la douceur de ces joues rosées que recouvre le léger duvet de l’adolescence. À coup sûr, il l’eût gâtée en la corrigeront. Cette tête parait un