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Il y a déjà une quinzaine d’années que M. Charles Sealsfield a donné à l’Allemagne le premier de ses romans, le Maître légitime et les Républicains. Ce roman est le seul que l’auteur ait publié d’abord en anglais et qu’il ait traduit ensuite en allemand. Il parut à Philadelphie en 1828 sous ce titre : Tokéah, ou la Rose blanche (Tokeah, or the Withe Rose) ; on peut y ajouter encore l’esquisse intitulée une Nuit au bord du Tennessee (A Night on the banks of the Tennessee), qui fut insérée dans un journal littéraire de New-York : tous les autres ont été publiés en allemand : ce sont des écrits allemands originaux, ce ne sont pas des traductions de l’anglais. Je pense que ces détails ne sembleront pas indifférens ; ils nous font bien connaître la situation de M. Charles Sealsfield. Nous voyons l’éloquent romancier toujours fidèle à sa pensée de prosélytisme et le regard tourné vers les peuples germaniques. Ainsi, depuis 1833, c’est en Allemagne qu’il publie ses œuvres, qu’il les publie patiemment, obstinément, sans être jamais découragé par les mille obstacles qui l’arrêtent. Pendant ce temps-là, tandis que ces beaux récits pénètrent lentement dans le monde lettré de Berlin ou de Leipsig, les libraires des États-Unis, qui semblent réclamer leur bien, font traduire à l’envi toutes les productions nouvelles de l’auteur de Tokéah, « Mes livres, dit M. Sealsfield avec une franchise qui ne messied pas, mes livres ont conquis d’un seul coup leur droit de cité en Amérique. Ils sont dans les mains, je ne dis pas de mille, mais de cent mille citoyens des États-Unis. On en a donné des éditions de toute espèce, livres, revues, journaux. J’ai devant moi des corbeilles de journaux américains contenant des appréciations de mes écrits, les unes pleines d’éloges exagérés que je n’accepte pas, les autres de critiques haineuses que je ne mérite pas davantage. » Un tel succès aurait pu détourner de ses desseins une imagination frivole, mais M. Sealsfield est un esprit austère et opiniâtre ; il a voulu montrer à l’ancien continent, ainsi qu’un idéal sublime, les fortes institutions du Nouveau-Monde ; il a voulu planter sur le sol de l’Europe la bannière de sa grande république. Parvenu aujourd’hui à son but, maître d’une éclatante renommée conquise à force de patience et de talent, c’est encore en Allemagne qu’il publie l’édition complète de ses œuvres.

Le premier roman de M. Sealsfield, le Maître légitime et les Républicains, est un poétique tableau des tribus indiennes et de leurs dernières luttes avec la race conquérante. Profondément ému du sort tragique de ces peuples, l’auteur a voulu inspirer une politique plus humaine à ses concitoyens, en retraçant à leurs yeux la grandeur des vaincus et le calme terrible, la majesté muette de leur douleur. « Je tremble, disait Jefferson, je tremble pour mon peuple, quand je songe à toutes les injustices dont il s’est rendu coupable avec les indigènes. » M. Sealsfield inscrit ces belles paroles à la première page de son livre, et il est resté