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est devenu en quelques heures un personnage très puissant ; mais d’où lui est tombée cette fortune imprévue ? Lui-même ne s’en doute guère. C’est pourtant à Stéphy et à Lomond qu’il la doit. Le vieux Stéphy avait raison de vanter l’immensité de son empire ; si les choses se passent comme les raconte M. Sealsfield, la maison de banque de Stéphy est, en effet, une des hautes puissances de l’Europe. Seulement il choisit étrangement ses ministres ; l’usurier Lomond est un des plus laids personnages qu’on puisse imaginer. Cet homme déguenillé, qui s’est tenu jusqu’ici à l’écart et qui semble n’avoir été que le valet de Morton, va se révéler enfin à son brillant protégé. La scène est curieuse, et comme maître Lomond, jusque-là si taciturne, ouvre son cœur et laisse voir le fond de sa pensée, nous allons peut-être savoir l’exacte signification du mythe. Qu’est-ce donc que Stéphy et Lomond ? Quels sont leurs projets, leurs plans souterrains, et quel usage font-ils de ce gouvernement occulte dont ils sont les chefs ? Le récit de Lomond n’est pas très clair ; j’ai cru comprendre toutefois que l’auteur a voulu personnifier dans ces bizarres créations la démocratie elle-même, la démocratie européenne au moment de ses dernières luttes avec l’ancien régime. Lomond et Stéphy, c’est le peuple à moitié affranchi qui a poursuivi la richesse pour arriver par elle à la liberté, et qui, maître enfin de cette liberté tant désirée, l’emploie comme une arme invisible et sûre à la destruction du vieux monde. Stéphy et Lomond ne sont pas seuls ; ils sont dix répandus sur la surface du globe, dix empereurs, dix alliés invincibles qui tiennent dans leurs mains le secret de la fortune de tous les états de l’Europe, et qui, à un moment donné, sans qu’on sache d’où vient le coup, peuvent décréter et accomplir les révolutions les plus profondes. A l’époque où se passe le roman de M. Sealsfield, le vieux Stéphy prépare la révolution de 1830. C’est pour cela que le jeune Morton a été envoyé à Paris et à Londres ; nos conspirateurs avaient besoin d’un jeune émissaire qui fût admis dans les plus brillans salons du West-End et du faubourg Saint-Germain, et il a plu au vieux Stéphy de donner ce rôle au petit-neveu d’un général américain, à l’héritier d’un ami de Washington. Seulement, bien que nous soyons ici dans la région des chimères, bien que le poète nous ait transportés dans ces fantastiques domaines où la logique n’a plus de sens, je lui demanderai pourquoi ces hommes investis d’un sacerdoce, ces ministres de la Providence dans le drame de l’histoire universelle, sont représentés par lui sous des traits si repoussans. Je n’en veux pas à Stéphy, qui n’est qu’un bizarre personnage ; je parle de cet odieux Lomond, de ce sauvage usurier dévoré par une implacable haine. Je ne puis concevoir que M. Sealsfield ait symbolisé d’une manière si hideuse la guerre de la liberté et du droit contre les iniquités du vieux monde. Je ne puis m’expliquer les contradictions des acteurs qu’il met