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fantaisie ; les tableaux de M. Seasfield diffèrent de ces éclatantes compositions comme l’histoire diffère de l’idéal, comme un voyage diffère d’un poème. Ce rapprochement, qui se présente de lui-même, entre les études si exactes du conteur américain et les conceptions de la poésie, M. Sealsfield l’indique d’une manière expresse, non pas au sujet de Chateaubriand, mais à propos de son compatriote Fenimore Cooper. Dans les prairies que traverse la Rivière-Rouge, George Howard rencontre des trappeurs, et son journal nous en donne une description pleine de vie. Je demande la permission de traduire cette page, qui fera connaître sous un aspect nouveau le talent de M. Sealsfield.


« Il y a dans ces immenses prairies désertes une influence particulière qui élève l’ame et lui donne, si je puis ainsi parler, le nerf et la vigueur du corps. Là règnent le cheval sauvage et le bison, et le loup et Tours, et les serpens sans nombre, et le trappeur qui les surpasse tous en férocité, non pas le vieux trappeur de Cooper, qui de sa vie n’en a vu un seul, mais le vrai trappeur, qui pourrait fournir le sujet des plus beaux romans et inspirer le génie des plus grands peintres.

« Notre civilisation, la plus noble qui se soit jamais formée et développée d’elle-même, a enfanté pourtant certaines créatures monstrueuses, inconnues aux autres sociétés, et qui ne pouvaient se déchaîner que dans un pays où la liberté est sans limites. Ces trappeurs sont, pour la plupart, des hommes de rebut, ou des criminels échappés au bras vengeur de la loi, ou des natures indomptables auxquelles la liberté fondée sur la raison, la liberté des États-Unis, paraît encore une contrainte. Peut-être est-ce un bonheur pour ces états de joindre à leur territoire ce fagend<ref> Fagend, tout objet sans valeur, et surtout la mauvaise partie d’une chose bonne, littéralement le bout usé d’une corde. </<ref> où les passions sans frein peuvent se satisfaire et s’épuiser ; comprimées dans le sein de la société civile, elles y feraient d’effroyables ravages. Si la belle France, par exemple, eût eu, pendant ses grandes crises, un semblable fagend à sa disposition, combien de ses héros seraient morts trappeurs ! Et vraiment, ni l’Europe ni l’humanité ne seraient plus pauvres, pour ne rien savoir, ou bien peu de chose, de ces grands instrumens du despotisme le plus absolu qui fût jamais, des M….. des V….., des S….., des D…., et en général de toute cette troupe d’habits brodés !… »

Nous savons déjà que M. Sealsfield n’est guère bienveillant pour nous. À l’orgueil de la démocratie américaine viennent se joindre encore chez lui toutes les rancunes de l’Allemagne. Supprimez ce qu’il y a d’injurieux dans ce dernier passage ; aux noms de nos maréchaux (je n’ai cité que les initiales, pour voiler les torts de M. Sealsfield), à ces noms illustrés dans les plus nobles guerres de la révolution, substituez ceux des forcenés qui, il y a six semaines, versaient à flots le sang le plus pur de la patrie, quel à-propos dans le vœu de M. Sealsfield !î comme il semble que cette page soit écrite d’hier ! Je continue de traduire.