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Nathan est le type grandiose du squatter, du pionnier, du hardi conquérant des terres vierges. Aux dernières années du XVIIIe siècle, vers la fin de la présidence de Washington, quelques hommes de l’Arkansas et du Mississipi, destinés à jouer un rôle immense, bien que tout-à-fait obscur, dans l’histoire de l’Amérique, se jetaient intrépidement dans les déserts de la Louisiane. C’était une petite troupe d’un courage à toute épreuve et d’une invincible patience. Le chef se nommait Asa Nollins ; il avait avec lui sa femme, Rachel, et son beau-frère, Nathan Strong. Asa avait combattu sous Lafayette dans les guerres de l’indépendance, et nul n’est plus digne de prendre le commandement de l’expédition. Après lui vient Nathan ; Righteous, Bill, James, Jonas, complètent la troupe ; ils sont six, avec femmes et enfans. La carabine d’une main, la hache de l’autre, ils pénètrent dans les forêts et les savanes. Les voilà bientôt campés, et déjà défrichant le pays. Un jour, quelques Espagnols (la Louisiane était alors au Mexique) traversent à cheval cette solitude, et voient nos hommes au milieu de leurs travaux. Tenons-nous sur nos gardes, dit Asa ; dans quelques semaines, nous serons attaqués. Il hésite cependant avant de s’engager dans cette lutte, avant d’élever des remparts pour défendre la colonie ; il se demande avec gravité s’il est bien sûr de son droit ; il consulte Nathan et sa troupe, et cette délibération solennelle est un des plus curieux épisodes du récit. Les pionniers décident enfin qu’ils sont chez eux, que ce pays n’appartient pas au, Mexique, car le Mississipi, en traversant l’Arkansas et les territoires de l’ouest, entraîne dans ses grandes eaux le sol dont s’est formé la Louisiane. A qui appartient le Mississipi ? à nous ou au Mexique ? A qui donc appartiennent les richesses de notre beau fleuve ? A nous, répondent les pionniers. C’est Nathan qui a trouvé cette triomphante justification. L’argument est pesé avec soin, et, après une mure discussion, comme il convient en des circonstances si graves, après qu’ils ont sagement, loyalement, examiné le pour et le contre, nos six Américains, sûrs de leur droit, déclarent la guerre au Mexique. Cet épisode est traité de main de maître. On sait que l’argument de Nathan a été maintes fuis employé par les plus grands orateurs du congrès ; mais ici, en face des déserts, dans la bouche de ces hommes qui osent s’attaquer seuls à un immense empire, cette diplomatie inattendue prend un aspect vraiment extraordinaire. Il y a là je ne sais quoi de comique et de grandiose tout ensemble ; on sourit et on admire ; il n’est pas possible de mieux rendre les instincts conquérans et l’imperturbable assurance de cette race anglo-américaine. Une fois en règle avec leur conscience, les squatters élèvent des remparts autour de leurs cabanes ; en quelques jours, un blockhaus est debout, et certes il était temps, car les sentinelles postées par Asa ont annoncé une troupe qui s’approche. C’est un régiment de mousquetaires mexicains et de