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Nathan. On vit, chose cruelle ! on vit l’héroïque fondateur de la colonie inquiété dans la possession de ses domaines. Nathan n’avait pas de papiers ; l’autorité espagnole avait subi le conquérant, mais, on le pense bien, elle n’avait pas signé le contrat. Les seuls titres de Nathan, c’était son sang versé, c’était la tombe d’Asa Nollins, c’était ce blockhaus sanglant derrière lequel six pionniers, au nom de la pairie américaine, avaient fait la guerre au Mexique. Ce n’était point assez aux yeux de l’inflexible loi ; Nathan se retira devant le shériff. M. de Vignerolles était au désespoir. — Il faut parler, criait-il, il faut protester ; vous laisserez-vous chasser de ce sol que votre sang a conquis et qu’ont fécondé vos sueurs ? Serez-vous moins brave en face d’un homme de loi que vous ne l’avez été devant les mousquets des Espagnols ? — Tel est, en effet, le respect de la loi chez le peuple américain, et ce dernier trait ne devait pas manquer à cette majestueuse figure. Nathan dit adieu à ses compagnons ; il reprend sa carabine et sa hache ; il va chercher de nouveaux déserts où il n’aura plus affaire au shériff, mais seulement aux fusils des Mexicains. Nathan fera dans le Texas ce qu’il a fait dans la Louisiane. Telle est l’origine de cette colonie anglo-américaine qui s’établit au Texas vers les premières années de ce siècle, petite colonie très inoffensive d’abord, mais qui, s’accroissant peu à peu par un travail opiniâtre, devint assez forte pour se détacher du Mexique en 1836, et dont l’annexion aux États-Unis a tenu long-temps en suspens la politique des deux mondes. N’est-ce pas là un trait qui achève de peindre cet éminent personnage ? Que sont les Pionniers de Cooper, je vous prie, auprès de ce magnanime Nathan, à la fois conquérant et fondateur, aussi grand dans la paix que dans la guerre, et qui, après une telle vie, est tout prêt à recommencer le plus naturellement du monde son inépuisable héroïsme ? Vingt-cinq ans plus tard, Nathan, après avoir colonisé le Texas, vient passer quelques semaines dans la Louisiane. Il veut revoir le blockhaus, la tombe d’Asa, les travaux de ses compagnons, et surtout son vieil ami, son disciple dévoué, le comte de Vignerolles. Le patriarche est plus grand encore que le jour où il abandonna au shériff ses domaines contestés. Ses conquêtes dans le Texas ont creusé des rides nouvelles sur son front, et imprimé je ne sais quel caractère auguste à cette physionomie. Il y a dans la scène finale du drame une sublime et bienfaisante sérénité. Assis à la table de M. de Vignerolles, entouré et fêté par les colons comme un père par ses enfans, le vieux pionnier républicain ne songe pas aux victoires de sa carabine, il pense à ses conquêtes morales, et, serrant la main du comte, il porte un toast à l’amitié. C’est le calme des beaux soirs après les journées laborieuses, ce sont les sévères douceurs qui remplissent l’aine après un grand devoir accompli.

Tel est ce livre de Nathan, la plus originale peinture du caractère