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avenir, puisqu’ils acceptent le pouvoir, cette révolution est venue mal à propos, est arrivée trop tôt.

Ainsi s’est exprimé plusieurs fois à la tribune de l’assemblée nationale le ministre dont nous nous proposons d’examiner les actes. Dans la séance du 15 juin, M. Goudchaux prononçait ces paroles : « Lorsque la révolution est arrivée, pardonnez-moi le mot, j’ai trouvé qu’elle arrivait trop tôt... Les études sérieusement commencées avaient besoin encore d’un temps très court pour être terminées... Les hommes énergiques, courageux, les excellens citoyens qui se sont dévoués à cette œuvre jusqu’au bout, ces hommes éminens qui nous ont conduits au jour où nous sommes, je leur en demande pardon, mais il leur manquait une certaine petite connaissance de faits tout matériels qui nous met aujourd’hui dans une situation de laquelle nous devrions être sortis. » Le 2 août, M. Goudchaux disait encore : « Je n’ai pas personnellement fixé au 24 février l’avènement de la république ; » et le 3 août : « Oui, je ne suis républicain que du lendemain, mais je suis républicain du lendemain, parce que j’ai vu la monarchie s’effondrer sur elle-même, trop vite pour nous, car nous n’étions pas suffisamment préparés à prendre en mains les rênes des affaires. »

Que veulent dire ces paroles ? Ou je me trompe bien, ou elles signifient que les hommes du jour, surpris à l’improviste au milieu de leurs études par les événemens, se sentent peu au niveau de la situation périlleuse que la révolution a enfantée. Pourquoi donc ces mêmes hommes qui proclament du haut de la tribune nationale leur propre insuffisance, qui réclament pour leur politique, pour leur administration, une indulgente appréciation de l’opinion publique et de l’histoire, pourquoi calomnient-ils[1] avec une si révoltante injustice un passé qui, à vrai dire, doit exciter leur envie et leur colère, quand ils comparent en eux-mêmes la France qu’ils nous ont faite avec la France telle qu’elle était il y a six mois ? N’est-ce pas avec surprise qu’à côté de ces brevets d’impuissance décernés par M. Goudchaux aux hommes d’état de la république, on lit ces fières paroles adressées sans doute aux membres les plus éminens, les plus expérimentés, du comité des finances : « Il faut qu’il soit démontré que ce n’est pas une leçon que

  1. « La dette exigible de près d’un milliard que le gouvernement déchu avait accumulée sur les deux premiers mois de la république... » (Rapport général fait à l’assemblée nationale le 6 mars au nom du gouvernement provisoire.) La monarchie laissa 200 millions dans les coffres du trésor, le rapport n’en fait pas mention ; quant au milliard de dettes exigibles en deux mois, tout le monde sait aujourd’hui ce qu’il en faut penser. Le montant des bons du trésor répartis, non pas sur deux mois, mais sur toute l’année, était de 295 millions ; le solde des caisses d’épargne était de 350 millions, que jamais les déposans n’auraient songé à redemander, si le gouvernement avait su leur inspirer confiance. On peut juger maintenant de la bonne foi de la phrase de M. de Lamartine, et si notre expression de calomnie est trop forte.