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suspension des versemens. Malgré la fameuse phrase du rapport de M. Garnier-Pagès (6 mai), « que la république ne donnerait jamais le spectacle du crédit de l’état passant sous les fourches caudines de l’emprunt, » il comprit toute l’importance qu’il y aurait pour le crédit et l’avenir de la république, aux yeux de la France et de l’Europe, à contracter et à faire réussir un emprunt, et, pour le faire réussir, il sentit qu’il fallait offrir de bonnes conditions, accorder aux souscripteurs une grande marge sur les cours de la Bourse. Pour l’état et les souscripteurs de l’ancien emprunt, le taux réel, déduction faite des termes de paiement jusqu’en juillet 1849 et de la bonification du semestre de septembre prochain, revient à 64 fr. Ce fut un spectacle curieux de voir sous la république un ministre proposer ce qu’on n’eût jamais osé sous la monarchie, un emprunt sans concurrence et dont le véritable prix de revient était de 13 pour 100 au-dessous du cours de la Bourse[1]. Quels cris d’indignation n’auraient pas jetés les financiers de l’extrême gauche dans l’ancienne chambre des députés, si M. Lacave-Laplagne ou M. Dumon eussent apporté un semblable projet d’emprunt, dont le premier article relevait de la déchéance, faisait revivre un cautionnement légalement acquis à l’état I

On se rappelle que, le 7 juillet, le 5 pour 100 était à 80 francs, et que c’est ce taux de 80 francs qui fut adopté pour la consolidation des livrets des caisses d’épargne. Il était habile, nécessaire peut-être, d’adopter un taux aussi bas que 64 ; il fallait à tout prix assurer le succès de cette première opération de crédit public faite par la république. Peut-être était-il difficile de faire adopter à l’assemblée nationale un taux aussi réduit ; on devait voir avec chagrin l’état, qui, un an plus tôt, empruntait à 4 pour 100, réduit à payer 7 3/4 d’intérêt ; bon nombre de représentans devaient se faire de cruels reproches en comparant ce cours de 64 francs avec le cours de 80, auquel les déposans de la caisse d’épargne, gens pourtant bien dignes d’intérêt, recevaient leurs capitaux convertis ; les porteurs de bons du trésor, dont les capitaux participent généralement aux emprunts, devaient regretter d’avoir confié leurs fonds au trésor, qui les consolidait d’une main en rente 3 pour 100 à 55, et qui de l’autre empruntait en 5 pour 100 à 64 ; avec 10 francs de capital de plus, leurs fonds, s’ils eussent été disponibles, leur eussent procuré 5 pour 100 au lieu de 3 pour 100 de rente. M. Goudchaux fit précéder la présentation de son projet d’emprunt d’un exposé aussi fidèle que possible de l’avenir financier. Cet avenir, certes, était peu brillant pour le trésor ; les 11 millions d’excédant du budget de M. Garnier-Pagès, les 4,700,000 francs d’excédant du budget de M. Duclerc, se changeaient en un déficit de 210 millions. Il fallait dire la vérité ; M. Goudchaux l’a

  1. La rente était à 77 fr. le jour où fut voté l’emprunt, dont le coût de revient est 64.