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dans le caractère je ne sais quel fonds de faiblesse qui se traduira par de l’incertitude, par de l’inconsistance même, de provoquer souvent chez une nature d’élite une éducation personnelle libre, hâtive, confuse peut-être et hasardeuse, qui n’est qu’une réaction contre celle qu’on prétendrait lui imposer. Plus on cherchera à enfermer un esprit bien doué dans un cercle inflexible d’idées préconçues, plus il désirera franchir cette limite qu’on lui assigne et qui borne son activité. Vous voudrez faire sur lui l’expérience passionnée d’une théorie philosophique exclusive, et vous le verrez puiser dans le sentiment de la dépendance dont il a eu à souffrir une ironie singulière, une défiance invincible pour toutes les théories qui falsifient et défigurent le plus souvent la nature humaine. Veut-on, quant au brillant auteur des Études, un détail particulier qui montre combien, en cette matière d’éducation morale, les résultats correspondent peu parfois aux intentions systématiques ? M. Chastes prétendait surtout ne point faire de son fils un homme de lettres. On voit le succès de ses efforts ; on sait s’il est un écrivain plus actif, plus répandu, plus dispersé, peut-on dire, que le hardi critique, s’il est une plume qui ait secondé plus de publications littéraires. Homme de lettres ! M. Philarète Chastes l’était déjà à peine arrivé à Londres, à vingt ans. Il faisait des éditions de Tacite et assistait en même temps, avec une curiosité attentive, à l’admirable mouvement intellectuel qui s’épanouissait alors en Angleterre. Scott régnait dans le roman ; Byron, le passionné Childe-Harold, était dans la force de son génie puissant et douloureux. Il y avait là cette douce et méditative école des Lacs, des poètes tels que Crabbe et Wordsworth, des humoristes comme Lamb, des penseurs littéraires spirituels ou profonds et un peu bizarres, tels que Hazlitt ou Coleridge, et ces deux vastes foyers de critique lumineuse et forte, — l’Edinburgh Review et le Quarterly. C’était un spectacle de nature à exercer une grave influence sur un esprit qui s’ouvrait, qui arrivait à cette période où les idées se forment et prennent leur pli. S’il est de quelque intérêt d’observer exactement la généalogie d’une pensée, il ne faut pas négliger ces circonstances premières, cette vie retirée, opprimée dans un monde exceptionnel, refuge d’un sentiment révolutionnaire exagéré, et ce séjour en Angleterre, qui précèdent l’instant, — vers 1820, — où M. Philarète Chasles s’est trouvé jeté dans cet autre mouvement dont la France était le théâtre à cette époque. Les tendances morales, littéraires, de ce vigoureux et ingénieux talent apparaissent là à leur source ; on y peut saisir les élémens de cette originalité un peu étrange qui donne au peintre du Dix-huitième siècle en Angleterre un air tout-à-fait distinct entre tant d’autres écrivains contemporains d’un mérite rare et supérieur.

Voyez, en effet, parmi les hommes de la même génération dont