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cette phase de 1820 a éclairé la jeunesse déjà virile. Il est, sans doute, bien des natures différentes, bien des esprits marquans qui ont leurs qualités propres et suivent des directions diverses ; mais la plupart ont un point de ressemblance à cette heure du départ commun, qui est pour eux le signal d’une sorte d’avènement. Une pensée politique actuelle et tranchée domine dans ce groupe d’élite. L’ardeur scientifique ou littéraire, chez ceux qui le composent, s’alimente au foyer d’un patriotisme actif et militant ; ils ont un drapeau. Cette vive et sérieuse passion de parti est même, pour quelques-uns, une lumière révélatrice ; les plus illustres exemples l’attestent. Une des plus belles œuvres de la critique moderne, les Lettres sur l’histoire de France, n’a-t-elle pas pour principe une inspiration politique, au dire de M. Augustin Thierry lui-même ? L’émotion du patriote dirige l’historien, l’anime dans ses recherches, passe sur ses livres, quand il peut tirer de la poussière et de l’oubli ces hommes sans gloire du moyen-âge, bourgeois inconnus qui arrosèrent de leur sueur le berceau des libertés communales. C’est le feu d’un grand esprit qui ne reste point indifférent dans le conflit des opinions régnantes. Qu’on prenne les premiers Fragmens de philosophie de M. Jouffroy : le sentiment des luttes contemporaines, une conviction frémissante et communicative respire dans ces pages éloquentes d’un écrivain mort trop tôt, et qui n’a point livre tout entier le secret d’une âme noblement émue. Au fond de cette nature si fine, si élevée, si variée, de M. de Rémusat, qui a traité avec un égal succès de la philosophie et de la littérature, vous retrouverez de même la foi politique comme un mobile primitif et essentiel. C’est dans la remarquable entreprise du Globe surtout que se manifeste cette tendance, ce penchant. Là venaient se rejoindre, de points bien divers, des hommes pleins de l’enthousiasme politique du moment, dominés par ces illusions qui sont les généreuses et immortelles nourricières du talent, par ces rêves de jeunesse dont le premier éloge, ainsi que le rappelait l’auteur de Passé et Présent d’après Schiller, est de dire qu’ils ne sont point des rêves. Il n’en est pas ainsi de M. Philarète Chastes, qui se rattache par son âge à cette génération. Dans cette maison paternelle où il a trouvé plus de sévérité et de contrainte que de douceur, où régnait un perpétuel orage de déclamation révolutionnaire sans écho et sans résultat, il a contracté une espèce de désabusement précoce assez ordinaire dans les intelligences qui ont été violentées. Le stoïcisme pratique qu’on lui imposait a détruit le stoïcisme de ses rêves. De son impitoyable regard d’enfant, il a vu dans leur familiarité, dans leur petitesse même, ces conventionnels de renom redoutable, grandis par l’apologie ou la détraction, et, frappé de ces contradictions, il s’est tenu en garde. « Je commençai dès-lors, dit-il lui-même, à me méfier des apparences, des bruits, des récits et de l’histoire ; je me mis à