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rectitude logique s’allie à un goût hasardeux d’innovation, — cet esprit ingénieusement passionné qu’on voit, dans sa laborieuse carrière, tenter toutes les fortunes, intervenir dans toutes les querelles du monde ; pour les diriger, se soumettre à toutes les influences pour les absorber, expier parfois ses entraînemens d’imitation par des excès bizarres, puis revenir à propos sur ses pas pour trouver la juste mesure des assimilations possibles, et lutter sans cesse, en un mot, jusqu’à ce qu’il arrive à être l’esprit même de la civilisation. C’est quand on la considère à ce point de vue que l’histoire littéraire s’anime et prend de la vie. C’est là le côté large et fécond de la critique, celui qui prête le plus à des développemens imprévus et dramatiques, et qui est le mieux fait pour séduire un talent tel que celui de M. Chastes. Tout le reste ne peut offrir que des résultats incomplets ou futiles. Il n’est pas difficile de reconnaître cette inspiration dans les divers travaux de notre contemporain sur le XVIe siècle ou sur cette période compliquée de Louis XIII qui lui a offert les élémens de ses curieux portraits des victimes de Boileau, C’est l’idée qui le domine, de même que la recherche des influences qui réagissent d’un siècle à un autre siècle, d’un peuple à un autre peuple, est le fondement de ses études sur les littératures étrangères. Dans une introduction, dans un exposé de vues générales qui est comme le prologue de ses publications, M. Chastes a voulu fixer la théorie, résumer l’ensemble de ces influences qui rapprochent incessamment les nations et tendent à former une sorte de fraternité des intelligences ; et, ce qui est singulier dans ce morceau, c’est que, à travers bien des mérites, les traits en sont souvent indécis, les données incertaines, quand elles ne sont pas inexactes. On n’y sent point cette verve qui anime l’auteur dans beaucoup de ses essais où l’idée générale trouve une application plus directe et plus vivante.

Analyser chacune des productions de M. Philarète Chastes serait une œuvre inutile. Ce serait « interpréter des interprétations, » ainsi que le dit Montaigne, et donner trop beau jeu à ce charmant railleur de ceux qui commentent les commentateurs. Il suffit d’en signaler l’esprit, d’indiquer les points les plus familiers à l’ingénieux critique dans ce vaste champ des littératures étrangères où son talent s’est principalement nourri. Ce n’est pas que M. Chastes ait le premier, même de nos jours, exploré ces régions fécondes dont la richesse est loin d’être épuisée encore. Quelques-unes des plus fines, des plus fermes intelligences contemporaines l’ont précédé dans cette voie. Il faut citer un homme d’une remarquable sagacité, d’un savoir étendu, d’une admirable précision de connaissances, Fauriel, dont l’investigation patiente a laissé des traces précieuses, qui passait si aisément de la biographie de Dante à celle de Lope de Vega, de sa belle introduction des Chants populaires de la Grèce à ses scrupuleuses recherches sur la poésie