Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 23.djvu/573

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

doctrine libérale, s’avisait de désirer tout haut la fin de l’état de siège, les hommes de la veiller demanderaient qu’il fût passé par les armes. Ce qui amène sous notre plume cette observation intempestive, c’est le souvenir des circonstances qui déterminèrent l’avènement du ministère de lord John Russell. Sir Robert Peel, si nous ne nous trompons, fut renversé à l’occasion d’un bill qui avait pour but d’interdire la possession illimitée des armes en Irlande. Or, lord John Russell, très grand libéral en ce temps-là, se trouve aujourd’hui forcé, non-seulement de désarmer l’Irlande, mais de la mettre en état de siège, et de la gouverner purement et simplement par la loi martiale. Du reste, l’Irlande, il faut le reconnaître, n’est plus gouvernable autrement. La discussion et la liberté n’y peuvent plus rien ; tout a été discuté cent fois, et on est arrivé à l’impuissance. C’est un pays qui ne peut plus être régénéré et renouvelé que par une révolution gouvernementale, une révolution comme l’empereur de toutes les Russies aurait seul le pouvoir d’en faire. La dernière insurrection, qui a si misérablement avorté, n’est qu’un des mille symptômes divers de la même maladie chronique qui dévore traditionnellement cette malheureuse terre. C’est toujours, au fond, la même question, celle de la misère, de la misère universelle, celle du riche connue celle du pauvre, celle du propriétaire comme celle du fermier. L’esprit d’agitation et de révolution travaille sur les mêmes élémens depuis des siècles, sur cet amas de désordre, d’anarchie, de souffrance, d’ignorance, d’infirmités morales et physiques qui s’accumule incessamment depuis la conquête, et qui est devenu une montagne et un chaos impénétrables à la lumière. Les éruptions qui ont jailli à différens intervalles de ce volcan inextinguible n’ont pas eu toutes la même couleur en éclatant dans l’air ; mais, dans le fond, c’était la même lave, la même matière bouillonnante et incandescente. Il y a autre chose en Irlande que l’antagonisme religieux, quoique tout y aboutisse à ce résultat fatal ; il y a les efforts, les soubresauts, les convulsions d’une société qui a été retournée sur sa base, et qui cherche, au milieu de cris perpétuels de douleur, à se remettre sur ses pieds. Il y a cinquante ans, lors de la grande rébellion de 1798, c’étaient des protestans et des presbytériens qui étaient les chefs et l’âme de la révolte ; l’instrument était bien la masse de la population catholique, parce que le peuple est catholique, mais ce n’était que l’instrument.

L’homme national de l’Irlande, celui qui a le mieux résumé toutes les vertus et toutes les infirmités de son peuple, Daniel O’Connell, donna un autre courant à l’agitation. Il la rendit pacifique, c’est-à-dire jusqu’à la dernière extrémité en-deçà de la guerre ; il la rendit légale, c’est-à-dire jusqu’à la dernière limite en-deçà de la loi. Ce dont il se vantait le plus, c’était de braver et de défier la loi sans en violer la lettre ; c’était, comme il le disait, de savoir conduire une voiture à