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des jurés. La terreur agissait de ce côté d’une manière encore plus efficace. C’est un rôle périlleux que celui de juré en Irlande, aussi périlleux que celui de témoin à charge ; le parlement a été obligé de faire des lois spéciales pour la protection des jurés et des témoins. De ceux qui avaient pris part au procès d’O’Connell, les uns ont dû être transportés par le gouvernement loin de leur pays, les autres, des marchands, se sont vus ruinés sans ressource. Ils ont été signalés, dénoncés, retranchés de la communion, ils sont devenus des hommes marqués, marked men. Ceux qui ont condamné Mitchell sont dans la même position ; leurs noms, leurs professions, leurs demeures, ont été envoyés à tous les clubs ; la croix est tracée d’avance sur leur porte.

Que pouvaient les lois contre de pareilles mœurs ? Les clubistes le savaient bien, et d’ailleurs ils étaient trop avancés pour pouvoir désormais reculer. Du fond de leur prison, où la loi leur permettait de communiquer avec leurs avocats ou avec leurs amis, ils lançaient des proclamations encore exaltées par la captivité. Voici, par exemple, ce que disait M. Duffy dans la Nation : « Toute notre force est dans les clubs. C’est la représentation d’une idée encore jeune, encore vierge, qui n’a encore été ni souillée ni vendue, sur laquelle nul n’a encore spéculé. L’émancipation catholique, dans sa jeunesse, possédait cet élément subtil et divin : elle fut d’abord irrésistible, mais le temps la gâta et l’épuisa. D’une croyance elle devint une spéculation. Le duc de Wellington, avec un laconisme méprisant, a dit que nos grands meetings étaient des farces, et les a dispersés. Ils ne s’en sont pas relevés ; c’est la mort du vieux système. Nous n’avons donc plus que les clubs ; c’est là qu’est la vie et la puissance….. Il y a cent cinquante clubs en Irlande ; que chacun d’eux s’engage à en former un autre dans le voisinage, et que chaque membre individuellement s’engage à amener une nouvelle recrue, la chose sera faite. Nous aurons deux cent mille hommes, force qu’aucun gouvernement n’osera attaquer. Il n’y a pas encore de loi contre les clubs ; si on veut les fermer de force, il faut résister...»

Le Félon disait de son côté, en s’ad ressaut aux protestans : « Orangistes, votre devoir est de prendre le fusil. Si les détenteurs de la terre d’Irlande résistent, chassez-les à la pointe de la pique. On nous parle de la loi, de la paix, de l’ordre ! Bah !... Il n’y a ni loi, ni gouvernement, ni ordre social dans un pays où règnent la famine, le paupérisme, et où le typhus et la dysenterie sont les seules institutions... J’aimerais mieux voir cent mille hommes égorgés sur le champ de bataille pour la liberté de l’Irlande que d’endurer pendant encore une année les agonies de l’esclavage. »

Ces prédications ardentes étaient datées de la prison de Newgate, à Dublin, et, pendant ce temps-là, M. O’Brien faisait une tournée dans