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rancune. Il y en avait d’autres qui nous reprochaient de n’avoir point imité Paris, et qui croyaient que notre sang-froid au milieu du tourbillon de février avait calmé, sinon arrêté la propagande républicaine. De là sans doute tant de dédains, de menaces indirectes, et finalement l’équipée de la frontière. On pensait de la Belgique dans certaines régions ce qu’on pensait, en 1825, de l’Espagne : on croyait que le peuple belge se soulèverait en masse et volerait au secours de ceux qui viendraient lui apporter, quoi ? des libertés ? non ; des améliorations ? pas davantage ; mais un simple changement dans la forme de son gouvernement ! Des enfans perdus de la Belgique avaient seuls pu prêter la main à une tentative aussi sacrilège.

On connaît l’issue de cette déplorable échauffourée. Un moment, nos démagogues s’étaient fait illusion ; en apprenant la marche des bandes armées vers la frontière, ils avaient jeté l’insulte et la menace au corps électoral. Un profond désappointement succéda bientôt à cette joie insolente. Le parti radical s’était démasqué, l’épreuve des élections de juin ne tarda pas à lui porter le dernier coup. Jamais le triomphe du libéralisme modéré n’avait été plus éclatant. Le parti catholique, qui, après les élections de 1847, comptait encore cinquante voix dans une chambre de cent huit membres, en conservait à peine douze le 13 juin 1848. Quant au parti démagogique, il ne put pas arriver à faire passer un seul de ses représentans. La nation s’était prononcée sans que le gouvernement eût cru devoir exercer la moindre intervention dans ce grand travail de la conscience publique. Désormais les partis extrêmes étaient irrévocablement condamnés.

La courte session qui vient de finir a montré clairement combien est étroit l’accord du cabinet libéral et de l’opinion publique représentée par le nouveau parlement. Cette session n’avait d’autre but que de mettre le pouvoir en rapport avec les chambres récemment élues. Le roi a prononcé un discours qui indique toutes les améliorations projetées par le gouvernement. Le ministère voulait une adresse en réponse au discours prononcé par le roi. Le concours sympathique qu’il demandait ne lui a point été disputé : je me trompe, un amendement avait été proposé par un député de Gand. Cet amendement n’avait rien d’hostile dans ses termes, mais on en avait changé la portée par quelques commentaires malveillans ; le gouvernement se refusa à l’adoption de cet amendement. Deux sous-amendemens furent présentés ; le gouvernement déclara ne pas vouloir s’y soumettre davantage. La chambre entière, moins les trois auteurs de l’amendement et des sous-amendemens, c’est-à-dire trois voix, a donné gain de cause au cabinet, et l’adresse dans son ensemble a été votée par quatre-vingt-sept voix contre trois. L’adhésion du sénat n’a pas été moins unanime.

Telle est la situation du parti libéral en Belgique. Après avoir enlevé le pouvoir aux catholiques, il vient de remporter aujourd’hui sur la démagogie une victoire non moins éclatante. Ce n’est pas seulement dans les chambres, c’est dans la nation belge qu’il trouve le concours le plus actif, le dévouement le plus complet. Vous en jugerez par un fait significatif. Déjà, sous la dernière législature, un premier emprunt forcé avait été voté dans le mois de mars. Il était de 12 millions. Bientôt un second emprunt de la même nature devint nécessaire. L’armée, la dette flottante, les Flandres, exigeaient des ressources