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mais l’assemblée avait ses raisons de croire que la montagne n’en dirait pas autant qu’elle en saurait. Elle fut donc obligée de recourir à des gens qui n’en sauraient pas tant, mais qui diraient tout. Ceux qu’elle choisit n’étaient pas généralement distingués par une ferveur républicaine de très vieille date, nous en convenons ; du moins ils se recommandaient à ses suffrages par des qualités qui lui semblaient avoir de l’à-propos dans ce moment-là. Ils gardaient un amour profond, un culte inébranlable pour ces principes sacrés du droit civil et du droit social que l’on avait à défendre maintenant contre les coups de fusil, après les avoir laissé si complaisamment ébrécher à coups de sophismes. Ils étaient surtout pénétrés d’une aversion sincère pour cette propagande hypocrite qui jette à foison dans les masses des germes de discorde et de violence, qui les couve patiemment, qui se réjouit de les voir éclore, et qui, au moment de l’explosion, se retire à l’écart en protestant qu’elle ne l’a pas voulue, en criant à la folie, en se lavant les mains du sang des fous : quand Pilate lavait les siennes, il avait au moins le courage de proclamer que c’était le sang du juste. Ces dispositions des commissaires étaient alors celles de la grande majorité de l’assemblée. L’assemblée, comme la France, se lassait de ces transes perpétuelles dont la source première échappait sans cesse ; elle entendait remonter du mal à sa cause, et par-delà les instrumens atteindre enfin les personnes. Il n’est pas vrai qu’il y ait jamais au milieu de la foule des idées ou des passions dont nul ne soit responsable, parce qu’elles se sont tout de suite appelées légions. Pour si grands qu’ils soient, les mouvemens populaires ont toujours un auteur qui est quelqu’un et non pas tout le monde. Soyons de bonne foi, c’était quelqu’un que l’assemblée, que la ville entière cherchait dans les jours de juin derrière la fumée de la poudre, derrière les décombres des barricades.

La commission a rempli son devoir et transmis à l’assemblée les résultats de ces recherches. Un homme de cœur, M. Bauchart, a pris sur lui la charge du rapport, une charge qui n’est pas sans péril en un temps où toute discussion de cette nature aboutit infailliblement à des menaces d’assassinat : la montagne a des alliés dont elle ne viendra point à bout de changer les argumens. Ce rapport a tout aussitôt enfanté une émotion prodigieuse ; les tempêtes ont succédé aux tempêtes ; les représentans incriminés se sont levés avec une assurance formidable contre les assertions accusatrices, leurs amis les ont couronnés comme des martyrs et poussés au Capitole comme des triomphateurs ; enfin, on crie dans les rues l’inculpation et la défense du citoyen Ledru-Rollin, à peu près comme on criait jadis la grande trahison du comte de Mirabeau. Quelque chose de plus inattendu, de plus singulier que l’effet du rapport sur ceux qu’il compromet, c’est l’état dans lequel il a mis l’assemblée presque entière. Violemment attaquée, la commission n’est guère, jusqu’à présent, défendue ; on dirait, à voir la situation qu’on lui fait, qu’elle vient du dehors et n’est point sortie du sein même, du libre choix de l’assemblée. Jamais commission parlementaire n’a reçu de ceux qui l’avaient nommée d’accueil aussi peu encourageant. On lui adresse beaucoup de reproches, on lui ménage cruellement l’éloge. Les emportés se promettent de l’attacher au pilori des calomniateurs ; les sages ne la trouvent point assez circonspecte ; les mieux intentionnés pour elle craignent qu’elle n’ait risqué une fausse manœuvre politique. Son rapport n’est pourtant point une manœuvre ; si c’était cela, il y aurait réellement dans sa conduite maladresse et