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MARILHAT.




Quelque temps après la révolution de juillet, vers 1833 à peu près, une petite colonie d’artistes, un campement de bohèmes pittoresques et littéraires menait une existence de Robinson Crusoé, non dans l’île de Juan Fernandez, mais au beau milieu de Paris, à la face de la monarchie constitutionnelle et bourgeoise, à cet angle du Carrousel laissé en dehors de la circulation comme ces places stagnantes des fleuves où ni courans ni remous ne se font sentir.

C’est un endroit singulier que celui-là : à deux pas du roulement tumultueux des voitures, vous tombez tout à coup dans une oasis de solitude et de silence. La rue du Doyenné se croise avec l’impasse du même nom et s’enfonce au-dessous du niveau général de la place par une pente assez rapide ; l’impasse se termine par une espèce de terrain fermé assez peu exactement d’une clôture de planches à bateaux noircies par le temps. Les ruines d’une église, dont il reste une voûte en cul de four, deux ou trois piliers et un bout d’arcade contribuent à rendre ce lieu sauvage et sinistre. Au-delà s’étendent, jusqu’à la rue des Orties, des terrains vagues parsemés de blocs de pierre destinés à l’achèvement du Louvre, entre lesquels poussent la folle avoine, la bardane et les chardons.

Les maisons qui bordent ces deux rues sont vieilles, rechignées et sombres, elles frappent par un air d’incurie et d’abandon. On ne les répare pas, les ordonnances de voirie le défendent, car elles doivent disparaître dans un temps donné, lorsque les travaux du Louvre seront repris. On dirait que ces pauvres logis ont la conscience de l’arrêt