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république, c’est d’opposer une propagande intelligente et honnête à cette propagande sentencieuse ou furieuse du sophisme ou du crime. Le journal de M. Proudhon a reparu avec plus de virulence que jamais ; son discours du 1er août est tiré par cent mille exemplaires. M. Jules Lechevalier, qui, de secte en secte et de conversion en conversion, est devenu provisoirement proudhonien, M. Lechevalier, l’infatigable catéchumène de toutes les rêveries du siècle, installé dans la tribune que lui prête son nouveau dieu, provoque l’Académie des Sciences morales au combat et somme le général Cavaignac de mettre les académiciens aux prises avec un concile de socialistes. En attendant ce duel à outrance, l’Académie poursuit activement l’œuvre de bonnes paroles dont l’honorable général lui a confié sa part. Elle va publier ou rééditer très prochainement une série de petits tracts à la manière anglaise, et nous avons confiance dans cette haute initiative. L’une de ces brochures populaires qui viendra le plus tôt sera tout simplement la première partie du Vicaire savoyard, « Dieu ! retire-toi de ma conscience ! » s’écrie M. Proudhon, charmé de passer pour un monstre aux yeux des bonnes gens, quand il s’amuse à copier les philosophes dont l’Allemagne elle-même ne veut plus. C’est une heureuse inspiration d’emprunter les démonstrations naturelles de l’auteur du Contrat social pour ramener Dieu au sein d’un peuple raisonneur. M. Cousin dit à merveille, dans une belle et courte préface jointe à ce volume, comment il faut, en effet, une forte éducation morale, une vraie culture philosophique proportionnée aux loisirs et à l’intelligence des masses, pour lutter contre le débordement pédantesque et systématique des mauvaises doctrines.

Tous ces détails passagers ou permanens de notre situation intérieure disparaissent en face des grandes circonstances accumulées au dehors, en face de la difficulté étrangère, cette seconde difficulté dont nous parlions en commençant. L’avenir qu’on avait pu rêver un instant pour l’Italie est ajourné, s’il n’est pas perdu : reste à sauver le présent. Il y a des peuples condamnés ; ce sont les peuples chez qui l’on ne sait plus mourir. Chez nous, du moins, on meurt encore d’un bon cœur, et le plus obscur comme le plus illustre ne marchande pas avec sa vie. A travers tous les déboires d’une époque de misères, ce facile abandon de la vie pour une cause bonne ou mauvaise témoigne du moins d’un ressort quelconque dans la fibre nationale. La Pologne non plus n’a pas dit son dernier mot, puisqu’elle garde toujours la même vertu devant les balles sur le champ de bataille et devant la hache sur l’échafaud ; mais l’Irlande ! mais l’Italie ! De ce que ces populations amollies ou débilitées n’ont pas le nerf militaire, la seule garantie sérieuse des nations libres, il ne s’ensuit pas que ce soit leur juste destinée d’être opprimées et malheureuses, il ne s’ensuit pas qu’elles soient indignes d’intérêt et qu’on n’ait plus le devoir de travailler à relever leur condition matérielle ou morale. Il est seulement un devoir plus saint encore et plus sacré que celui-là, c’est de ne les induire jamais en des espérances qui soient au-dessus de leur courage, c’est de ne les point lancer dans des aventures qui ne vont pas à leur taille. Manquer à ce devoir-là, si ce n’est pas un crime de lèse-nation, c’est un crime de lèse-humanité.

Voyez l’Irlande. La grande révolte annoncée avec tant de fracas s’est dénouée comme une épopée burlesque. O’Brien, le chef, le roi de ces aristocrates en guenilles que nos démocrates d’ici prennent de loin pour leurs alliés, O’Brien n’a de rencontre qu’avec un malheureux policeman, dont il emprunte le cheval pour