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et pour inscrire en tête de leur œuvre quelques droits jusque-là inconnus, en un mot, pour que la nouvelle constitution pût avoir sa déclaration des droits de l’homme et sa nuit du A août. Par malheur, pour abolir des privilèges, il faut qu’il en existe, et, pour affranchir un peuple, il faut qu’il soit asservi. Or, il s’est trouvé, en cherchant bien, qu’en fait de privilèges tout se réduisait, en France, à quelques garanties de capacité et d’intérêt social dont personne n’imaginait de se faire un droit à son profit, et dont les plus intéressés ne regretteront pas le sacrifice, si une seconde épreuve leur démontre que le suffrage universel est à la rigueur compatible avec le maintien de la paix publique et un peu de lumières dans l’administration. Hors de là, les amateurs les plus déterminés de l’égalité venaient se rompre la tête contre le droit de propriété, roc indestructible et sans fissure qui brisera des élans révolutionnaires plus violons que celui de février. Les tentatives pour innover, en fait de liberté, n’ont pas été plus heureuses. Les auteurs de la nouvelle déclaration des droits ont eu beau se mettre en frais d’invention pour découvrir un prétendu droit naturel, le droit au travail, et un droit politique qu’on a baptisé du nom de droit de réunion. Des confidens indiscrets nous ont déjà appris ce que serait le premier de ces droits, si on le prenait au sérieux. Nous verrons ce que deviendra le second entre les restrictions bizarres dont on l’a emmaillotté sous sa forme régulière et la loi justement sévère qui prohibe les attroupemens accidentels par des peines redoutables. Là se bornent les innovations politiques dans le sens libéral de la constitution républicaine, et, avec la meilleure volonté du monde, elle n’a pu faire davantage. Ce n’est pas à elle qu’il faut s’en prendre si au-delà des libertés que nous possédions déjà il y a six mois, il n’y a guère que la licence, et si, en fait de défenses sociales, il y a déjà long-temps que la France n’a presque plus que du superflu, de sorte que la moindre diminution la fait tomber au-dessous du nécessaire. Ce n’est pas à elle non plus, en toute justice, qu’il faut s’en prendre, quoique ses auteurs aient bien quelque chose à se reprocher à cet égard, si cinquante ans de révolutions ont laissé dans ce qui était la lie, et ce qui est aujourd’hui l’écume de notre société, une armée de fanatiques qui ne respecte pas plus la majesté populaire du suffrage universel que la pompe monarchique, à qui l’ordre déplaît parce qu’il est l’ordre et la loi parce qu’elle est la loi, que le frein des lois irrite sans les dompter, dont l’audace sans cesse renaissante sous le châtiment tient sans relâche la paix publique en haleine, et si par (conséquent, quelque peu de goût que l’on ait pour le nom de conservateur, la conservation personnelle devient, malgré qu’on en ait, la première et presque l’unique préoccupation de tout gouvernement en France. C’est là une vérité qui frappait déjà bien du monde sous le dernier gouvernement, et qui n’a plus besoin