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veux d’or, exécuta une naïade romantique : l’un était Adolphe Leleux, le peintre des Bretons et des Aragonais ; l’autre Célestin Nanteuil, l’auteur du Rayon, un des plus charmans tableaux de l’exposition de cette année. Sur deux panneaux étroits, Corot logea en hauteur deux vues d’Italie d’une originalité et d’un style admirables. Théodore Chasseriau, alors tout enfant, et l’un des plus fervens élèves d’Ingres, paya sa contribution pittoresque par une Diane au bain, où l’on remarquait déjà cette sauvagerie indienne mêlée au plus pur goût grec d’où résulte la beauté bizarre des œuvres qu’il a faites depuis.

D’autres panneaux furent remplis de fantaisies orientales et hoffmaniques par Camille Rogier, qui, plus tard, réalisa ses rêves par un séjour de huit ans à Constantinople, d’où il a rapporté le plus curieux album. Alcide Lorentz fit aussi quelques Turcs de carnaval et des masques à la manière de Callot. Pour moi, je peignis dans un dessus de glace un déjeuner sur l’herbe, imitation d’un Watteau ou d’un Lancret quelconque, car, en ce temps-là, j’hésitais entre le pinceau et la plume. Gérard ne fit rien, mais il nous donna le conseil de nous couronner de fleurs, suivant l’usage antique.

Comme nous étions juchés sur nos échelles, la rose à l’oreille, la cigarette aux lèvres, la palette au pouce, chantonnant des ballades d’Alfred de Musset ou déclamant des vers d’Hugo, il entra un jeune homme amené par un camarade pour prendre sa part de nos travaux, et qui fit sur moi l’impression la plus vive.

Il avait une de ces figures qu’on n’oublie pas. Son teint naturel disparaissait sous une accumulation de couches de hâle et ressemblait à du cuir de Cordoue, quoiqu’aux pommettes on put distinguer à travers le jaune des traces de couleurs assez vives ; une fine moustache ombrageait sa lèvre supérieure, et son nez mince, un peu courbé en bec d’oiseau de proie, s’unissait à des sourcils noirs extrêmement marqués. Los yeux, agrandis par la maigreur, avaient une limpidité, un éclat et une expression extraordinaires : ils semblaient avoir gardé le reflet d’un ciel plus lumineux et la flamme d’un soleil plus ardent ; le ton bistré de la peau en faisait encore ressortir l’émail étincelant : ces yeux étaient le résultat d’un voyage en Orient, car l’Orient, nous en avons fait la remarque depuis, lorsqu’il ne vous aveugle pas, vous donne des regards aveuglans.

Le nouveau venu promena sur tout ses prunelles d’épervier, prit un morceau de crayon blanc, et traça sur un coin resté vide trois palmiers s’épanouissant au-dessus du dôme d’une mosquée ; puis, quelque affaires l’appelant ailleurs, il s’en alla et ne revint plus.

Ce jeune homme à physionomie d’icoglan ou de zébek, comme nous le sûmes plus tard était Prosper Marilhat, qui revenait d’Égypte. Rien à cette époque, ne le recommandait à l’attention que le feu de ses