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France d’être représentée, je ne crois pas qu’on pût s’y prendre autrement que ne fait le mode solennellement consacré dans la constitution actuelle. Déjà, disions-nous, un paysan n’a pas une idée bien nette de ce qu’on lui demande quand on le convoque pour élire un député ; voulez-vous qu’il n’y comprenne plus rien du tout ? faites-lui en élire douze ou quinze sur une même liste, assurez-vous par conséquent qu’il y en aura au moins dix sur ces douze dont, jusqu’au nom, tout lui sera inconnu. Déjà l’opération électorale lui paraît par elle-même assez insignifiante, et il a regret au temps qu’il y perd ; voulez-vous l’en dégoûter absolument ? faites en sorte que le résultat ne lui en soit connu que dix ou quinze jours après, et encore quand il aura le bonheur, s’il sait lire, de trouver sous sa main un journal du département. Privez son esprit naturellement méfiant de toute garantie sur l’exactitude du dépouillement ; qu’il soit forcé d’accepter le résultat de confiance sur la foi de la parole officielle ; en un mot, supprimez tout ce qui donnait de la vérité et de la vie aux luttes électorales, et les rapports personnels des candidats et des électeurs, et la présence des partis et leur prise corps à corps, et l’intérêt piquant d’une journée décisive ; mettez les sept ou huit arrondissemens de nos départemens dans la dépendance les uns des autres, tout en les maintenant, par la division des collèges, dans une ignorance réciproque ; faites de l’élection une véritable loterie, où on n’a pas même le plaisir de voir l’enfant classique tirer de l’urne le numéro gagnant ; établissez le scrutin de liste pour tous les députés d’un département, et vous pouvez être assuré qu’à la seconde ou troisième épreuve, sur les quatre ou cinq millions d’électeurs que convoque le suffrage universel, c’est tout au plus si vous en trouverez un seul qui réponde à l’appel.

La question est maintenant de savoir dans quels rangs sera recruté ce petit nombre de fidèles. On voudrait se faire l’illusion de penser que ce sera parmi les hommes véritablement dévoués à la pureté des institutions républicaines. Malheureusement, une triste expérience nous prouve que le patriotisme républicain ne donne qu’une mesure très inexacte de l’honnêteté et des lumières des citoyens. Nos longues révolutions ont pratiqué dans toutes les classes en France une profonde distinction que la dernière commotion sociale n’a pas comblée. Pour commencer par la moins élevée et la plus nombreuse, qui ne connaît deux types d’ouvriers, ou, pour parler à la mode, de travailleurs différens ? Nous avons l’ouvrier paisible, animé du juste orgueil du pauvre, le désir de ne rien devoir qu’à son travail, et ne goûtant que les joies pures de la famille ; mais nous avons aussi l’ouvrier soi-disant éclairé, qui aime à passer sa journée entre la lecture d’un journal au cabaret et les processions sur la place publique, et pour qui les barricades sont un passe-temps. Pour le premier, un jour perdu aux élections est un véritable