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disposition naturelle de Gros à voir en grand. Beaucoup de ces portraits, qui furent regardés comme des ouvrages accomplis à leur apparition, n’ont pas conservé tout leur éclat et toute leur force. Cela tient à la même cause qui a contribué à appauvrir l’effet de ses tableaux d’histoire. Il faut citer parmi les plus remarquables de ces portraits celui du général Lasalle, exposé au Salon de 1808. Plusieurs portraits équestres de dignitaires de l’empire et de membres de la famille impériale marquent également au premier rang parmi les peintures du temps.

Nous touchons à l’époque critique qui va marquer dans la carrière du grand artiste un funeste changement. Les portraits capitaux dont nous venons de parler respirent encore la flamme des débuts. Le tableau de François Ier et Charles-Quint visitant les tombeaux de Saint-Denis (1812) présente encore dans un genre différent, pour le sujet et pour la dimension, un remarquable effort de talent. On y trouve une finesse d’intention et d’exécution qu’on ne s’attendait pas à rencontrer dans le peintre d’Eylau et de Jaffa. Le Charles-Quint surtout est parfait ; il est impossible de mieux caractériser un personnage historique, dont tout le monde a pu se faire un portrait d’après ses actions, et l’image que nous montre le peintre défend à l’esprit de demander autre chose. Bientôt Gros entreprend les peintures de la coupole. Ici il va lui falloir lutter de plus près avec les écoles anciennes. Les qualités qui ont fait de ses grandes batailles des ouvrages incomparables le suivront-elles dans cet empire nouveau dont la conquête va l’attirer ? Ces qualités sont-elles les plus propres à le soutenir dans son entreprise ? Si nous nous en rapportons au succès qui sembla couronner ses efforts, lorsqu’après douze années de travaux il livra la coupole aux regards du public, la question sera résolue victorieusement, et Gros aura répondu à l’attente de ses contemporains. A-t-il cru lui-même au fond de son cœur que la postérité, d’accord avec ces jugemens enthousiastes, les confirmerait en plaçant son dernier ouvrage à côté de ses trois filles immortelles ? Chacun peut encore résoudre au gré de ses prédilections en peinture et de ses penchans personnels ces questions qu’on a débattues à l’époque où la coupole fut découverte. Faudra-t-il rejeter l’infériorité de certaines parties sur les vicissitudes au milieu desquelles l’artiste s’est vu forcé plusieurs fois de changer sa composition au gré des influences de la politique ? Nous ne pouvons le penser. L’essentiel pour l’artiste, il faut bien le dire à la honte de ses convictions, c’est d’avoir une muraille à couvrir, c’est de jaser avec la muraille, comme disait Gros lui-même. Dès le principe, il dut s’apercevoir que tous ses efforts ne pourraient remédier à la disposition étranglée de la corniche, laquelle, rétrécissant excessivement l’orifice de la coupole, réduisait le peintre à exécuter son tableau pour ceux qui auraient le courage d’aller l’admirer de près, à deux cents pieds au-dessus du sol, et c’est